Durant l'été 2010, sur Eskale Quilombo (Jeudi 20h-22h15, 90.1FM, Radio Mon Païs, Toulouse), Patricio a réalisé une série de chroniques consacrées au mouvement zapatiste. Ces chroniques sont largement inspirées de l'ouvrage de Jérome Baschet: "la rébellion zapatiste - Insurrection indienne et résistance planétaire".
1. Chronique n°1 (17 juin 2010) : le zapatisme pour les nuls
L’objectif de la première chronique n’est pas de réaliser une analyse approfondie du zapatisme mais de répondre à des questions simples mais fondamentales pour mieux comprendre ce mouvement.
Qui sont les zapatistes ? Des paysans indiens d’un état du sud du Mexique (le Chiapas) qui sont apparus au grand jour, lors d’un soulèvement contre le gouvernement fédéral, le 1 janvier 1994 (mais qui ont commencé à s’organiser dans la foret du Chiapas depuis les années 70 au moins).
La voix des zapatistes ? Leur porte-parole est le sous-commandant Marcos qui a permis, grâce à sa plume, son charisme et son talent d’orateur, de porter la parole de ses indiens sur tous les continents.
Que veulent-ils ? Leur combat est avant tout un combat pour la justice sociale et la diversité culturelle et plus précisément pour le droit à la terre, au travail, à la santé, à l'éducation, à la démocratie, à la liberté et à la justice (combat légitime pour tous les hommes).
Une déclaration du sous-commandant Marcos (du 5 mai 1996) donne une définition assez précise du zapatisme:
« Le zapatisme n'est pas une nouvelle idéologie politique, ni un réchauffé de vieilles idéologies. Le zapatisme n'est pas, n'existe pas. Il se contente de servir, comme servent les ponts, pour traverser d'un côté à l'autre. C'est pourquoi, dans le zapatisme, tous ont leur place, tous ceux qui veulent traverser d'un côté à l'autre... Il n'y a ni recettes, ni lignes, ni stratégies, ni tactiques, ni lois, ni règlements, ni consignes universelles. Il y a seulement une aspiration : construire un monde meilleur, c'est-à-dire neuf. En résumé : le zapatisme n'appartient à personne, et pour cela, il est à tout le monde ».
L’originalité et la spécificité du mouvement ? C’est un mouvement avant tout politique (et militaire mais sans arme quasiment), totalement neuf (ni léniniste, ni guévariste, etc…) et en constante évolution. Il ne s’adresse pas qu’aux seuls indiens du Chiapas, mais également à tous les laissés-pour-compte et à tous ceux qui souhaitent résister à l’ordre néolibéral (ou au désordre néolibéral, c'est-à-dire au capitalisme moderne). Leur combat est donc à la fois local et global et leur ennemie est clairement identifié : le néolibéralisme !
Contrairement aux revendications traditionnelles des guérilleros latino-américains, l’objectif de cette lutte n’est pas la prise du pouvoir mais de provoquer une transformation de l’organisation politique, économique et sociale sous le contrôle d’autorités civiles légitimement constituées.
Il y a également une originalité vestimentaire, le fameux passe-montagne et le paliacate (foulard rouge traditionnel). Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, par mesure de sécurité, pour protéger leur identité (les zapatistes ont quand même déclaré la guerre au gouvernement). Il y a également une raison symbolique : les Indiens sont ceux dont on n’a jamais voulu voir le visage. Le passe-montagne a permis paradoxalement qu’on les regarde enfin.
Pourquoi le choix de ce nom: zapatiste? Ce qualificatif fait référence au célèbre révolutionnaire mexicain, Emiliano Zapata qui dans les années 1910 prônait, dans le sud du Mexique, la restitution de la terre à ses anciens propriétaires: les indiens!
2. Chronique n°2 (24 juin 2010): Les racines du mouvement
L’objectif de la seconde chronique est de décrire les raisons historiques qui conduiront au soulèvement zapatiste du 1 janvier 1994. En résumé: la conquête espagnole, la guerre d’indépendance, la révolution mexicaine, les organisations paysannes indiennes, jusqu'aux prémices du soulèvement zapatiste.
La conquête espagnole Il y a presque cinq cents ans, le conquistador Cortés débarqua dans le golfe du Mexique (en 1519). Depuis, les droits des Indiens ont toujours été bafoués. Ils se sont tout d’abord fait massacrer, exploiter, réduire en esclavage par les conquérants. L’évangélisation, souvent brutale, s’accompagna de la destruction des différentes civilisations indiennes et de la lutte contre les religions traditionnelles. Le premier à dénoncer les pratiques des colons espagnols et avoir défendu les droits des Indigènes en Amérique est le prête espagnol Bartolomé de las casas (dès le début de la colonisation et pendant 50ans). Malgré ce soutien, on estime qu'avant l'arrivée des Européens, le Mexique central comptait 25 millions d'habitants alors qu’en 1650, la population indienne était réduite à 1.5 millions de personnes.
La guerre d’indépendance (1810 à 1821) fût menée par les créoles. Le Mexique disposait alors de belles villes, d'une haute société évoluée mais la masse indigène ignorait l'existence d'une nation mexicaine et fût laissé totalement en marge de cette nouvelle société.
La dictature de Porfirio Diaz (1876 à 1911) développa l’économie au prix d’une politique d’injustice sociale et d’exploitation de la paysannerie indienne.
Le début du 20ème siècle marqua le début des oppositions fortes au gouvernement avec surtout Ricardo Flores Magon qui créa le parti libéral mexicain et un journal très hostile au gouvernement. Il se déclara anarchiste et est considéré aujourd’hui comme le principal précurseur de la révolution mexicaine de 1910. Il déclara notamment que les indiens devait être protégé et c’est à lui qu’on devrait le fameux slogan « Tierra y Libertad » et non à Emiliano Zapata. Malheureusement Magón était considéré à l'époque comme traître à son pays car jugé internationaliste en faisant s'immiscer de nombreux étrangers dans les conflits intérieurs du pays.
Puis vient la Révolution (1910 à 1921) et justement le fameux Emiliano Zapata. Zapata était un agriculteur métis, assez aisé et libre, maire de son village dans l’État du Morelos, au sud de Mexico. Il prôna la restitution de la terre à ses anciens possesseurs, les indiens! Rendu maître d’une partie du sud du pays, il fut assassiné sur ordre du président Carranza.
Après l’échec de la révolution vint l’ère du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) qui se maintint au pouvoir pendant 71 ans (de 1929 à 2000) grâce à un système de corruption généralisée et de fraudes électorales. Les indiens étaient encore et toujours exploités, en particulier à travers le système des fincas. Les fincas sont de grandes propriétés agricoles dans lesquelles les Indiens travaillaient en semi-esclavage. Ils vivaient près de la maison des patrons, les femmes et les enfants travaillant comme serviteurs et les hommes comme ouvriers agricoles. Le plus souvent, les Indiens n’étaient pas payés en argent, mais en jetons de couleur, qui n’étaient valables que dans la boutique du patron… dans laquelle on vendait essentiellement de l’alcool. Pour diminuer les tensions naissantes engendrées par ses exploitations féodales le gouvernement cédera des terres aux indiens.
Début de l’organisation. Les terres que l’on a laissé aux indiens du Chiapas dans la forêt lacandone étaient évidemment peu fertiles et peu accessibles. Plus de 100 000 personnes s’y installèrent à partir des années 60. Et c’est justement sur ces terres récemment défrichées que l‘EZLN s’est développée plus tard. Des organisations paysannes indiennes y firent leur apparition dès les années 70 avec les premières revendications et luttes. 3 composantes vont favoriser l'implantation de l'EZLN (l'armée zapatiste de libération nationale):
1ère composante : l’église. Il faut noter et avouer que l’évêché locale, et notamment « l’évêque rouge » Samuel Ruiz, très éloignée du Vatican, soutien les indiens, en véhiculant une idéologie inspirée par la théologie de la libération qui promeut la prise de conscience et l’auto-organisation des opprimés. L’église locale parvient ainsi à conférer une unité communautaire grâce à une combinaison de traditions indiennes et d’idéologie chrétienne. C’est sur ce terrain favorable que va pouvoir s’implanter l’EZLN.
2ème composante : les maoïstes. Militants venus du centre et du nord du Mexique à partir de 1973 et de manière plus importante à partir de 1977 (invités au début par Samuel Ruiz) qui vont permettre une structuration plus importante des organisations paysannes à travers l’organisation « linea proletaria » mais cette organisation va dériver à cause de problème interne de pouvoir et va finalement vacciner les indiens contre toute forme d’organisation.
3ème composante : les organisations paysannes indiennes. Organisations dirigées par les indiens aux mêmes, surtout à partir de 1983 qui a joué un très grand rôle dans la formation de l’EZLN. Leurs mobilisations aboutissent à la disparition progressive des fincas.
La formation de l’EZLN. L’EZLN est issu d’un groupe marxiste-léniniste guévariste crée dans le nord du pays, en 1969, les forces de libération nationale (FLN). Une poignée d’homme se rendent au Chiapas fin 70, puis dans la forêt lacandone à partir de 1983. Au départ ils s’organisent dans les montagnes, de façon indépendante, à l’écart des communautés indiennes. En 1986, l’EZLN compte 12 membres armés et entre pour la première fois en contact avec une communauté indienne. C'est la fusion de ce petit groupe dans les communautés indiennes déjà très organisées (voir les 3 composantes ci-dessus) qui va permettre l'expansion du mouvement zapatiste. Entre 1988 et 1989 c’est le « boom » du zapatisme, le nombre de combattants passe de 80 à 1300 puis au début des années 90 il y a plusieurs milliers d’actifs et la majorité des communautés indiennes est alors zapatiste. En octobre 1992, 10000 personnes manifestent à San Cristobal de las Casas et abattent la statue d’un conquistador. C’est à ce moment là que les communautés prennent la décision du soulèvement armé qui aura lieu 1 an plus tard dans la nuit du 1 janvier 1994 au cri de « Ya Basta » : Maintenant ça suffit !
3. Chronique n°3 (8 juillet 2010): Le soulèvement
Dans les chroniques précédentes j’ai commencé par présenter succinctement le mouvement zapatiste, puis les raisons historiques qui ont conduit à cette rébellion. Cette chronique traitera du soulèvement armé du 1 janvier 1994 et des jours qui ont suivi.
Le soulèvement. L’offensive armée contre le gouvernement fédéral commence le 1er janvier 1994, date symbolique de l’entrée en vigueur de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain, qui regroupe les États-Unis, le Canada et le Mexique). Pendant la nuit du réveillon, les zapatistes entrent dans cinq villes du Chiapas : San Cristóbal de las Casas, Las Margaritas, Ocosingo, Altamirano au cri de « Ya Basta ». Pour la première fois de l’histoire une armée indienne s’empare de ces villes. Le fantasme de la revanche indienne, remontant du fond des temps coloniaux, semble enfin se matérialiser ! Le 2 janvier l’armée zapatiste se retire pacifiquement de San Cristobal avant l’arrivée de l’armée fédérale mais dans d’autres villes comme Ocosingo les zapatistes se retrouvent prisonniers de l’armée mexicaine qui n’hésite pas à bombarder les communautés. Lors de ce soulèvement les zapatistes rendent public des textes. Leur objectif est tout d’abord national. Ils veulent établir la déposition de Carlos Salinas (par le parlement), qu’ils qualifient de dictateur et font 11 demandes portant sur le droit au travail, à la terre, au logement, à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, à l’indépendance, à la liberté, à la démocratie, à la justice et à la paix. Ils revendiquent qu’il s’agit d’ « une guerre pour tous les pauvres, exploités et misérables du Mexique, une guerre juste que nous avons déclaré à nos ennemis de classe ».
Armés de simples fusils de chasse et de machettes, les zapatistes espèrent une prise de conscience des mexicains pour aboutir à un soulèvement massif de la société tout entière. Ca ne s’est pas vraiment passé comme ils l’espéraient même s'il y a eu une mobilisation très importante de la société mexicaine.
Les combats dureront douze jours, jusqu’à ce que le gouvernement déclare le cessez-le-feu, le 12 janvier 1994 sous la pression de la rue qui demande l’arrêt des combats (le combat le plus violent fut celui d’Ocosingo. Selon les sources, les affrontements firent de 100 à 500 morts.
Les zapatistes prennent alors conscience de l’ampleur de la société mexicaine qui au lieu de se soulever comme ils l’espéraient, demande, y compris aux zapatistes, la négociation et la paix. Commence alors un processus de réflexion et de transformation, qui amène progressivement à privilégier la lutte politique plutôt que la lutte armée.
Ainsi, contrairement à la plupart des groupes « dit révolutionnaires », les zapatistes ne sont pas prisonniers d’une pensée dogmatique qui les empêcherait d’être en phase avec la société qu’ils veulent transformer! Ils réagissent au contraire en fonction des aspirations de chacun…
Du soulèvement à la résistance Le soulèvement a crée une dynamique très importante et une interaction intense avec la société. Il a provoqué un choc et a suscité de nombreux débats et des mobilisations au sein de la population. Dans les mois qui ont suivi le soulèvement armé, le mouvement zapatiste se transforme alors en profondeur pour se métamorphoser en mouvement politique ouvert sur le Mexique et le monde.
4. Chronique n°4 (15 juillet 2010): de la lutte armée à la lutte politique, phase 1 : 1994 à 1996
L’EZLN crée par une poignée d’homme dans la forêt du Chiapas a grandit en totale autarcie pendant 10 ans jusqu’au soulèvement du 1 janvier 1994. Après les 12 jours de combat, elle est soudainement confrontée de plein fouet à la société civile mexicaine qui se mobilise pour elle et lui apporte un ample soutien. En retour les zapatistes prennent en compte les aspirations des mexicains ce qui provoquent chez eux un vaste processus de réflexion et de transformation les amenant à abandonner la lutte armée au profit de la lutte politique. Cette chronique et la suivante traiteront du processus de formation politique des zapatistes sans rentrer dans les profondeurs de la pensée zapatiste que je tenterais de décrire dans les chroniques suivantes.
1ère année : 1994: Cette période est caractérisée par une interaction intense avec la société mexicaine. La situation créée par le soulèvement est mise à profit par toutes les organisations paysannes du Chiapas qui déclenchent un vaste mouvement d’invasion des terres. Puis l’effet fédérateur du soulèvement conduit à la formation d’une assemblée qui regroupe des organisations paysannes, des syndicats démocratiques, des associations et la convention des femmes. Simultanément les zapatistes créent les conditions d’une mobilisation en faveur de la candidature d’Amado Avendaño au poste de gouverneur du Chiapas. Malheureusement, devant la tentative d’assassinat dont il est victime puis la fraude qui impose le candidat du gouvernement, l’EZLN change de stratégie en décembre 1994, et opère un déploiement éclair et sans combat dans les montagnes du Chiapas. Les zapatistes annoncent alors la création de 30 municipalités autonomes rebelles. C’est le début de la résistance.
1995-1996 En février 1995, le gouvernement fédéral tente en vain de liquider les dirigeants zapatistes. L’EZLN lance alors une consultation nationale et internationale pour déterminer quelle doit être sa nouvelle stratégie. Parallèlement ils convoquent de larges secteurs de la société civile nationale pour participer, face à une délégation du gouvernement, aux accords de San Andres dont l’objectif est rien de moins que de jeter les bases d’une nouvelle constitution et de construire un nouveau projet de nation (et concernant également le droit des indiens).
Le 27 août 1995. Plus d’un million de Mexicains participent à une consultation organisée par l'EZLN et tolérée par les autorités. Le "oui" emporte avec plus de 92 % sur les questions portant sur la légitimité des revendications zapatistes. Une majorité de participants invite les zapatistes à se transformer en force politique.
Le 16 février 1996 les accords de San Andrés sont signés. En juillet et août 1996, l’EZLN organise la première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néo-libéralisme qui réunit 3000 participants venus de plus de 40 pays. L’année 1996 marque l’apogée du zapatisme internationale dont l’écho permet de mettre en mouvement la société aux niveaux régional, national et international. Le 1er septembre, L'EZLN rompt les discussions, affirmant que le gouvernement du président Ernesto Zedillo n'a pas mis en pratique les accords de San Andrés, en ce qui concerne les aménagements constitutionnels devant reconnaître les droits des Indiens.
Durant ces deux premières années de 1994 à 1996, malgré quelques échecs (le soutien d’Amado Avendaño, la rupture avec certaines organisations accusées de trahison), la grande réussite de l’EZLN a été de créer une dynamique puissante en interaction avec la société, capable de susciter la mobilisation, la réflexion et la transformation des forces sociales au Chiapas et ailleurs. Mais devant ce relatif succès le gouvernement mexicain ne va pas tarder à réagir en mettant en place une guerre de basse intensité pour couper les zapatistes de leurs bases civiles.
5. Chronique n°5 (29 juillet 2010): la lutte politique, phase 2 : la guerre de basse intensité (1997 à 2000) et l’après PRI (>2000)
En décembre 1996 et janvier 1997, le président Zedillo refuse une réforme qui aurait permis d’appliquer les accords de San Andres (concernant entres autres les droits des indiens). Cela interdit à la fois l’avancée du processus de paix et également la transformation de l’EZLN en force politique civile.
Coup double donc pour le gouvernement qui opte pour une guerre de basse intensité contre les communautés zapatistes. Cette guerre consiste à ne pas affronter directement les zapatistes mais à armer des groupes paramilitaires avec l’appui direct de l’armée pour semer la terreur et entrainer des déplacements massifs de la population. Le 22 décembre 1997, 45 indiens Tzotzils sont massacrés à Acteal, principalement des femmes et des enfants qui priaient dans une chapelle. Au printemps 1998, plusieurs municipalités autonomes sont démantelées violemment.
Pour sortir un peu de l’étouffement engendré par cette guerre de basse intensité très efficace, les zapatistes mettent en place plusieurs actions dont une grande marche de 1111 personnes vers Mexico en octobre 1997 ou encore, en mars 1999, l’envoie de 2500 hommes et 2500 femmes dans toutes les municipalités du Mexique pour expliquer les revendications zapatistes.
Il faut quand même admettre que la politique de blocage du gouvernement a porté ces fruits. La dynamique d’interaction avec la société s’est affaiblie devant le harcèlement militaire et paramilitaire entre 1997 et 2000. Néanmoins les zapatistes n’ont pas été anéantis et ont même réussi à résister. Mieux le PRI, le vieux parti d’état depuis 71 ans perd les élections en 2000. Les zapatistes ne sont évidemment pas pour rien dans l’effondrement de cette dictature « parfaite ».
Ainsi le 1 décembre 2000, Vicente Fox, ex patron de Coca Cola Mexique, arrive au pouvoir. Le 2 décembre, les zapatistes annonce « la grande marche de la dignité indigène » sur Mexico avec les principaux dirigeants : 23 commandants et le sous-commandant Marcos. L’objectif est de créer une mobilisation en faveur des accords de San Andres. Les zapatistes vont traverser 12 états, mettre en place 80 actes publics avant d’arriver le 11 mars 2001 sur la place centrale de Mexico.
Cette marche est un succès qui permet de réactiver les réseaux de soutien nationaux et internationaux. Les zapatistes sont même invités, le 28 mars, au congrès pour plaider en faveur de la reforme constitutionnelle. C’est la commandante Esther (et non Marcos) qui prend la parole depuis « la plus haute tribune de la nation ».
Malheureusement, un mois plus tard, le parlement vote une réforme qui dénature le projet lié aux accords de San Andres. Reforme rejetée néanmoins par les parlementaires de 10 états mais promulguée le 14 août par Vicente Fox malgré les protestations et les recours constitutionnels.
En conclusion, à l’aube des années 2000, le parlement a fermé la possibilité ouverte par la marche zapatiste, au dialogue et à la solution négociée du conflit. La classe politique a démontré sa capacité à resté sourde à une mobilisation sociale d’une ampleur peu commune (comme en France ?). En ne respectant pas les accords de San Andres, elle a réaffirmé une conception intégrationniste et assistentialiste de l’indigénisme (il faut se contenter d’intégrer et d’assister les indiens, etc…).
6. Chronique n°6 (5 août 2010): les origines de la pensée zapatiste : critique des révolutions passées
Cette chronique traitera des racines de la pensée zapatiste actuelle et surtout de sa position par rapport aux idéologies révolutionnaires passées.
En 1983, le groupe initial de l’EZLN, qui ne comprend qu’une poignée d’individus, est d’idéologie marxiste-léniniste-guevariste. Ils cherchent donc à prendre le pouvoir en une dictature du prolétariat. Dès 1985-86, l’EZLN amorce un virage en rencontrant les indiens. Marcos explique que dans leur optique de guérilleros, les indiens étaient des gens exploités a qui il fallait montrer le chemin. Ils se considéraient donc comme l’avant-garde éclairée prônée par les marxistes. Puis ils découvrent que le mouvement indigène est organisé, expérimenté et à une longue expérience de la lutte. Ce choc culturel et politique conduit cette armée d’avant-garde révolutionnaire (de 12 hommes !) à se transformer en une armée subordonnée aux communautés indigènes (en gros ils se sont fait bouffer par les indiens).
Depuis cette première rencontre, le zapatisme se veut comme un processus constant de transformation de soi (il n’y a pas de dogme).
Par rapport au guévarisme qui prône, à travers une idéologie marxiste-léniniste classique, le combat politico-militaire, les zapatistes ont clairement pris leur distance puisqu’ils ne souhaitent pas la prise du pouvoir par l’armée révolutionnaire et parce qu’ils souhaitent une lutte avant tout politique. De plus, l’époque de Che Guevara est aussi celle des dictatures militaires latino-américaines. Or depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, ces dictatures sont peu à peu remplacées par des démocraties de marché promues par les Etats-Unis. Les zapatistes s’adaptent donc à cette nouvelle réalité.
Par rapport au léninisme, il y a 3 ruptures fondamentales.
Première rupture : la prise de pouvoir. Il ne s’agit pas, pour les zapatistes, de prendre le pouvoir, mais de révolutionner sa relation avec ceux qui l’exercent et avec ceux qui le subissent. En bref, il s’agit de constituer une organisation politique ayant la force suffisante pour exercer un contrôle sur le pouvoir et exiger la satisfaction de ses demandes. Une démocratie dans laquelle celui qui commande, commande en obéissant.
Deuxième rupture : la définition du parti comme avant-garde. Ils refusent l’idée d’avant-garde qui a conduit historiquement à la légitimation d’un groupe de dirigeants, de plus en plus séparé du peuple. Ils souhaitent au contraire une auto-organisation de la société qui reconstruit d’elle-même et par le bas (et non pas par le haut comme l’avant garde) des formes nouvelles de pouvoir.
Troisième rupture : la dictature du prolétariat. Dans l’expérience bolchévique, la dictature du prolétariat se transforme en dictature au nom du prolétariat et finalement en dictature sur le prolétariat qui a conduit à la dérive stalinienne. Les zapatistes inscrivent au contraire la démocratie parmi ses principes fondamentaux (en soulignant que le vote ne peut suffire). Dans la vision zapatiste la démocratie est l’exercice du pouvoir par les gens, tout le temps et en tout lieux.
En conclusion la façon dont les zapatistes conçoivent l’action politique s’écarte radicalement des traditions révolutionnaires guévariste et léniniste. Ils proposent une nouvelle forme de démocratie qu’on pourrait qualifier de participative mais ne sont pas pour autant prisonniers d’une pensée dogmatique. Dans la prochaine chronique je décrirais ce qu’ils combattent actuellement (le néolibéralisme) et pour qui ils luttent (pour l’humanité).
7. Chronique n°7 (12 août 2010): lutte contre le néolibéralisme et pour l’humanité - 1ère partie : lutte contre le néolibéralisme
Dans la chronique précédente, j’ai expliqué que la pensée zapatiste s’écartait radicalement des traditions révolutionnaires guévaristes et léniniste. Ils ne prônent pas, en effet, la dictature du prolétariat (etc…) mais une nouvelle forme de démocratie participative. Ils souhaitent réaliser cette démocratie au nom de la lutte contre le néolibéralisme et pour l’humanité. Je vais donc tenter d’expliquer ici, comment ils définissent le terme « néolibéralisme » et comment ils conçoivent cette lutte. Dans la prochaine chronique je décrirais la façon dont les zapatistes définissent le terme « humanité » et la lutte en son nom.
Pour les zapatistes il est vain de prôner une lutte pour l’humanité en oubliant de dénoncer son adversaire : le néolibéralisme. Sinon on tombe vite dans l’humanisme bon teint, qui se réduit à « l’éthique molle des droits de l’homme » très utilisée par les démocraties de marché (Kouchner,…). Inversement, il est dangereux de s’en prendre au néolibéralisme sans affirmer dans le même temps que la lutte menée contre lui a pour idéal une humanité soucieuse de bâtir son unité égalitaire sans nier sa pluralité. Les zapatistes critiquent ici les fondamentalistes religieux et autres nationalistes qui prétendent également se dresser contre cette mondialisation mais qui n’acceptent aucune diversité et qui au fond ne se battent pas pour l’humanité tout entière mais seulement pour leurs semblables.
Critique du néolibéralisme. Après les 3 premières guerres mondiales (la 3ème étant la guerre froide qui a engendré 149 guerres et 23 millions de morts), les zapatistes qualifient le néolibéralisme de 4ème guerre mondiale. Il s’agit en effet d’une nouvelle conquête des territoires visant à prendre possession des richesses et de la force de travail laissés sans maître par l’effondrement du bloc soviétique. Une guerre dans laquelle le fils (le néolibéralisme), dévore le père (le capitalisme national). Les états ne disparaissent pas mais sont obligés de s’intégrer dans des zones de libres échanges économiques et deviennent de simples instruments de sécurité des méga-entreprises. Les taches répressives de l’état sont indispensables au bon fonctionnement du système. Ce qui disparait c’est la souveraineté de l’état, d’où le nom de guerre mondiale. C’est donc la guerre la plus complète qui s’attaque à toutes les nations, toutes les cultures et par conséquent, à tous les peuples. Le néolibéralisme est l’extension totalitaire de la logique de marché à tous les aspects de la vie. La logique du profit et de la rentabilité prime sur la sauvegarde de la planète et de la vie humaine. En clair, le néolibéralisme signifie un transfert des richesses des pauvres vers les riches. Au Mexique par exemple 24 personnes pèsent autant, par leur fortune, que 38 millions. Dans le monde les 358 personnes les plus riches « valent » autant que 3 milliards d’anonymes. Le néolibéralisme produit toujours davantage de populations « éliminables » mais cependant fort utiles pour entretenir la peur et la docilité des salariés et conforter ainsi un rapport de forces très favorables au capital. Il faut rappeler que les véritables maîtres du monde, c'est-à-dire ceux qui détiennent des capitaux en quantités suffisantes pour peser sur le destin des grandes entreprises, des états et de la planète tout entière, constituent une poignée d’individus qui frôle l’inexistence statistique.
Lutte contre le néolibéralisme. Le 3 août 1996, les zapatistes ont lancés un appel à créer un réseau international de résistance pour l’humanité et contre le néolibéralisme. L’idée du réseau signifie le refus de constituer une structure organisatrice centralisée mais aussi un moyen de se mettre en résonance, de s’appuyer mutuellement pour se renforcer sans se fondre dans un moule. A la fin 1999, à commencé la propagation des manifestations contre les institutions financières et commerciales internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, OCDE, G8) : Seattle en 1999, Prague en 2000, Gènes en 2001, le forum social de Porto Alegre en 2001 ou celui de Bombay en 2004, etc… ( Dakar en 2011). Les zapatistes n’étaient pas à l’initiative de ces manifestations mais leurs idées figuraient en bonne place. L’expérience zapatiste constitue donc une référence possible parmi les prémices d’une mobilisation internationale qui ne fait que commencer. Marcos rappelle d’ailleurs, que le zapatisme, plus qu’une référence à suivre, est un symptôme.
Conclusion. Bien sûr le rapport de force reste extrêmement favorable au néolibéralisme qui continue même à progresser. Ce n’est cependant pas une raison pour l’accepter et pour ne pas préparer le terrain à des alternatives possibles au cas où ce "monstre" s’effondrerait sur lui-même. C’est dans cette optique que les zapatistes se battent. Dans la chronique suivante je décrirais plus particulièrement la façon dont les zapatistes envisagent la lutte pour l’humanité, la manière dont ils définissent l’humanité, sa dignité, la poésie et l’impossibilité de mener cette lutte sans s’en prendre au néolibéralisme.
8. Chronique n°8 (19 août 2010): lutte contre le néolibéralisme et pour l’humanité – 2ème partie : lutte pour l’humanité
Dans la chronique précédente j’ai expliqué contre qui les zapatistes luttent (le néolibéralisme, qu’ils qualifient de 4ème guerre mondiale). Dans cette chronique je tenterai d’expliquer au nom de qui cette lutte est menée (au nom de l’humanité) en décortiquant le terme « humanité » dans le discours zapatiste et la manière dont ils envisagent cette lutte.
Quelle est cette humanité susceptible de lutter contre le néolibéralisme et de contribuer au dépassement de l’organisation capitaliste du monde ? On remarquera tout d’abord que les zapatistes utilisent le terme « humanité » et nom « prolétariat », jadis en vogue chez les marxistes qui ne reconnaissaient qu’une seule lutte valable : celle des classes (prolétariat contre bourgeoisie). Les zapatistes attribuent quant à eux, un rôle déterminant à des nouveaux acteurs sociaux, autres que les seuls ouvriers, tels que les indigènes, les femmes ou les militants écologistes par exemple. De plus, le zapatisme international s’est essayé de tendre des ponts entre toutes les luttes des « sans » : les sans-voix du Chiapas, les sans-terres du Brésil et les sans-papiers des cités d’Europe. Le pari sur les exclus repose sur l’analyse suivante : la logique néolibérale produit une quantité toujours croissante de populations inutiles et marginalisées. En fait, on retrouve ici l’idée que le néolibéralisme est excluant par nature, et même si ses victimes les plus visibles (indiens du Chiapas, Roms, etc…) sont des minorités, ceux qu’il finit par rejeter forment en fait des majorités (femmes, enfants, salariés de l’agriculture ou de l’industrie, etc…). Ainsi, parmi plus de 6 milliards d’habitants on estime que 10% vivent plus ou moins confortablement tandis que 90% connaissent la pauvreté ou la misère. Finalement, on en arrive à reconnaître que le néolibéralisme affecte, d’une manière ou d’une autre, la quasi-totalité de la population mondiale. En effet, les maîtres du monde constituent une poignée d’individus qui frôle l’inexistence statistique. Même en ajoutant quelques bataillons de sous-fifres largement rémunérés pour leurs basses besognes administratives, policières, politiques ou médiatiques et tous les chefs des mafias, il est douteux que l’on atteigne le seuil de 1% de la population mondiale. Par conséquent, la planète néolibérale est aujourd’hui une machine folle qui tourne au véritable bénéfice de la plus dérisoire des minorités. Ce qui revient à dire que c’est l’humanité tout entière (ou presque) qui est potentiellement intéressée à la lutte contre le délire néolibéral.
Les zapatistes souhaitent donc un dépassement de l’antagonisme de classe (prolétariat / bourgeoisie) au profit d’une perspective intégrant d’emblée le souci de l’humanité dans sa (presque) globalité et dans sa pluralité. L’humanité zapatiste est une humanité vue d’en bas, qui considère d’abord les plus petits, les marginaux et les exclus, puis les pauvres et les exploités, et enfin tous ceux qu’affecte le néolibéralisme. L’humanité zapatiste est une humanité diverse et divisée mais qui cherche dans sa lutte contre le néolibéralisme, à faire naître l’humanité d’un monde juste et digne. La dignité est en effet une notion qui, plus que tout autre, résume l’idée zapatiste de l’homme. Elle pourrait faire l’objet d’une chronique entière. Pour résumer ici, le mot dignité, n’est finalement qu’une autre manière de nommer la lutte pour l’humanité et contre le néolibéralisme, le combat pour une vie humaine et contre les forces de l’inhumanité globalisée.
La manière de lutter. Dans le combat pour l’humanité, pour les zapatistes, il est très important de ne pas oublier l’humour, l’autodérision pour éviter de se prendre trop au sérieux, pour lutter contre le culte de la personnalité, le dogmatisme et les certitudes trop carrées. Marcos souligne d’ailleurs que « si nous ne rions pas, ce qui va sortir de tout ça, c’est un monde si carré qu’il n’y aura aucun moyen d’en faire le tour ». L’humour a sans doute cruellement manqué aux révolutionnaires marxistes du siècle passé, coincés dans la plus puritaine austérité morale, dans le renoncement total de l’individu et son sacrifice sur l’autel de la cause. Pour les zapatistes il est vain de combattre l’aliénation sous des formes aliénées. En d’autres termes, il est vain de lutter pour l’humanité en utilisant des formes déshumanisées de lutte. Ainsi, admettre les vertus du rire et de l’humour, de la tendresse et de l’amour, conduit logiquement à reconnaitre « le droit au plaisir, au travail libre et à la paresse… ». Pour les zapatistes il ne s’agit pas de mettre la poésie au service de la révolution, mais bien de mettre la révolution au service de la poésie. C’est seulement ainsi que la révolution ne trahit pas son propre projet.
En conclusion, pour les zapatistes, la revendication de la lutte pour l’humanité ne peut être indissociablement une critique de ce qui l’asservit (le néolibéralisme) et une lutte pour s’en libérer. Enfin, si l’objectif de cette lutte est la pleine réalisation de l’homme, elle doit revendiquer, dans son processus même, l’effort permanent pour libérer les forces de la poésie et de la fête. En gros, si on ne se marre pas en luttant, on ne se marrera pas non plus beaucoup après la révolution !
9. Chronique n°9 (26 août 2010): organisations dans les communautés zapatistes : de la théorie à la réalité – 1ère partie : analyse globale
Les deux chroniques précédentes étaient consacrées à la description du point central du combat zapatiste : la lutte pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Cette chronique traitera de l’organisation générale dans les communautés zapatistes. L’un des objectifs est de montrer que les zapatistes ne sont pas uniquement des théoriciens mais qu’ils tentent également de mettre en pratique leurs idées. Dans la 2ème partie (et donc dans la prochaine chronique) je présenterai des exemples concrets relatifs aux décisions de santé, d’économie, d’éducation ou de justice dans les municipalités rebelles.
Moins d’un an après le soulèvement du 1 janvier 1994, l’EZLN opère un déploiement éclair et sans combat dans les montagnes du Chiapas. Les zapatistes annoncent alors la création de 30 municipalités autonomes rebelles. Ce nombre sera porté à 39 par la suite. C’est le début de la résistance et de la construction d’une société autonome et originale dans ce coin perdu du sud-est mexicain (le Chiapas !). La construction de l’autonomie avance petit à petit, parce que, comme les zapatistes le disent : « Ce qui a le plus d’importance, c’est la pratique, parler est très facile mais faire quelque chose est plus difficile. La théorie a une valeur, mais ce n’est pas le plus important. ».
Malgré la terrible pression économique et militaire de la « guerre de basse intensité » que lui ont livrés les gouvernements locaux et celui de la République fédérale, les zapatistes réussissent à construire une véritable « autonomie » dans leurs communautés. Les communautés construisent ainsi leurs propres programmes d’éducation, de santé, de commercialisation et gère la justice. En parallèle, ils créent entre 1994 et 1996 (en plus des municipalités rebelles) 5 « Aguascalientes » qui représentaient les 5 centres régionaux. Ces « Aguascalientes » étaient conçus comme des espaces de rencontre et de dialogue entre les zapatistes et la société civile nationale et internationale. Dans ces Aguascalientes pouvaient donc venir des observateurs, des sympathisants, des ONG ou des associations. Malgré d’importantes réussites et des échanges fructueux avec le monde extérieur, ces structures ont montré de persistants défauts. Par exemple des dons conçus comme acte de charité, des projets d’aide généreux mais élaborés sans consultation des communautés.
Aussi, les 8 et 9 août 2003, les zapatistes annoncent la fin des « Aguascalientes » qui font alors place aux « Caracoles » (genres de capitales régionales) dans lesquels sont inaugurées 5 « Juntas de Buen Govierno » (conseils de bons gouvernements) qui sont des structures d’autogouvernement. Dans les langues latines « Caracoles » renvoie à l’escargot, tandis que dans les cultures mayas, cela renvoie plutôt à un mollusque d’eau douce utilisé dans l’antiquité indigène comme instrument de musique. Dans les deux cas, la représentation symbolique en spirale témoigne d’une représentation temporelle qui s’écarte des simplifications d’une histoire linéaire sans pour autant s’enfermer dans les cercles de la répétition. La spirale permet également d’entrer dans le cœur ou de sortir du cœur pour aller dans le monde. C’est ce symbolisme d’interaction entre l’intérieur et l’extérieur qui est invoqué pour comprendre la principale mission assignée aux « Caracoles ». Les « Caracoles » veulent donc être « les portes » d’une relation renouvelée entre les indiens rebelles et leurs contacts extérieurs, un appel à la solidarité vécue comme un acte politique attentif aux aspirations des communautés. Avec les Conseils de bons gouvernements associés aux Caracoles, l’objectif est de mieux coordonner les actions des municipalités rebelles et de remédier aux défauts de fonctionnement des ces municipalités. Ils permettent par exemple d’éviter les déséquilibres des appuis solidaires inégalement repartis. En second lieu, ils représentent des instances de recours en cas d’abus d’autorité ou des lieux de médiations en cas de conflit entre communautés. Ils permettent donc un approfondissement de la pratique d’autonomie sous la forme d’un autogouvernement plus solide.
Les zapatistes ont ainsi commencé à mettre en pratique le fameux « commander en obéissant » en mettant en place un processus par lequel des populations entières apprennent à gouverner. Chez les zapatistes il n’y a pas de classe politique professionnelle, le plus grand nombre participe par roulement, aux taches du gouvernement (non rémunérées) ce qui semble être la meilleure manière de réduire l’écart entre gouvernants et gouvernés. En plus des activités de gouvernance, les membres des communautés doivent également s’acquitter de charges concernant un éventail très large allant par exemple de l’entretien d’un chemin, jusqu’à l’exercice de la justice, de la police et des différentes fonctions « administratives ».
En conclusion, pour les zapatistes, la démocratie (le pouvoir du peuple) ne peut exister que si une population entière l’exerce réellement et directement. Pour cela il lui faut partir d’en bas, et non déléguer, s’appuyer sur sa culture, sur une égalité concrète entre les individus, sur la gestion collective et solidaire des biens les plus précieux (la terre, l’air, l’eau, les plantes, la nourriture, la mémoire, la solidarité, la danse, la musique, etc.), ceux qui rendent la vie possible et belle. C’est une des leçons que l’on peut tirer de l’expérience zapatiste.
10. Chronique n°10 (2 septembre 2010): organisations dans les communautés zapatistes : de la théorie à la réalité – 2ème partie
La chronique précédente était dédiée à l’analyse globale du fonctionnement des municipalités zapatistes rebelles. Dans cette chronique, je vais présenter de manière plus concrète l’organisation des domaines de la santé, de l’économie, de l’éducation ou de la justice dans ces communautés.
Nous avons vu dans la 1ère partie que les zapatistes ont coupé tout lien avec ceux qu’ils désignent sous le terme de « mauvais gouvernements », en instaurant dans cinq sortes de « capitales régionales » appelées caracoles (escargots), cinq structures d’autogouvernement, les « Conseils de bon gouvernement » (Juntas de Buen Gobierno). Ces structures ont pour objectifs de mieux coordonner les actions des 39 municipalités rebelles pour améliorer la pratique de l’autonomie. Elles représentent également une porte ouverte sur le monde et permettent le tissage d'un réseau de résistances au nom de l'humanité et contre le néolibéralisme.
En ce qui concerne l’exercice du pouvoir, les hommes et les femmes désignées pour gouverner leur région ont un « mandat » de trois ans. Mais ils ne siègent que par rotation, pendant des périodes de dix jours. Une fois terminées ces périodes, chacun repart dans sa communauté, vaquer aux occupations « ordinaires », c’est-à-dire, principalement, à la vie du village et à l’entretien du champ. Cette organisation permet donc à un maximum de personnes d’apprendre l’autogouvernement ce qui est, pour les zapatistes, une condition nécessaire pour parvenir à l’élaboration d’une démocratie réelle.
L’organisation dans les communautés s’appuie également sur ce que l’on appelle en espagnol, les cargos, les charges. Il s’agit de responsabilités à caractère rotatif et révocable, non rémunérées (comme l’exercice du pouvoir d’ailleurs), attribuées dès l’adolescence aux membres de la communauté. La désignation des responsabilités se fait par consensus, dans le cadre des assemblées de la communauté. Être désigné pour l’une d’elles est un honneur, une reconnaissance, et l’individu se doit de se montrer à la hauteur de la mission qui lui est confiée.
En ce qui concerne la santé : les zapatistes ont mis en place des cliniques et microcliniques et des dispensaires. Des équipes de promoteurs de santé se rendent de communauté en communauté, aussi bien pour assurer des soins que pour renforcer la prévention, mais aussi pour recueillir les connaissances des plus âgés, notamment des femmes, en matière de plantes médicinales, de suivi des grossesses, d’accouchements, etc.
En ce qui concerne l’éducation : les zapatistes possèdent des écoles secondaires au niveau régional où se forment des promoteurs d’éducation. Ces jeunes gens retournent ensuite dans leur communauté pour définir, en liaison avec les adultes et autres autorités locales, les programmes de ce qu’ils vont enseigner aux enfants dans l’école du village.
La police et la justice sont elles aussi directement assurées au niveau des quelques 1 400 communautés du Chiapas, des 39 communes autonomes et dans les cinq caracoles.
Enfin, au plan économique, le travail collectif pour la production alimentaire (champs de maïs, de haricots, rizières ou potagers, bétail), permet de nourrir les familles, puis de répartir ou de commercialiser les excédents pour assurer une redistribution, notamment en direction des plus âgés et des malades, ainsi qu’en soutien de l’effort de celles et ceux qui travaillent dans d’autres domaines (la santé, l’éducation, la justice, etc…).
On remarquera, qu’étant collectivement responsables du territoire de leur communauté, ses membres sont placés dans une situation « objective » d’égalité et de cogestion. Par ailleurs, de nombreux éléments de la culture indienne, de leur cosmovision, viennent conforter ce refus de la hiérarchie, cette affirmation d’une égalité de condition et de droits entre les individus. On peut citer à ce propos, la coutume consistant à confier à une personne qui s’était enrichie dans le cadre de son activité (commerce, etc.) la charge de mayordomo, c’est-à-dire de responsable de l’organisation des fêtes dans la communauté. Cette charge représentait à la fois un honneur et une reconnaissance. Mais elle impliquait également beaucoup de frais, pour la personne ainsi honorée, qui devait payer de sa poche les dépenses liées aux multiples fêtes et se retrouvait complètement « à sec » à la fin de l’exercice de sa charge... Une façon élégante d’empêcher que les disparités sociales s’installent dans le village.
En conclusion, malgré les tensions et la violence liées à la militarisation et la paramilitarisation du Chiapas, on constate que les populations zapatistes sont encore en mouvement, actives, solidaires, et que leurs constructions vont de l’avant. De plus dans un système où les moyens de production (les terres) ne sont pas privés, et où les responsabilités sont rotatives et peuvent faire l’objet d’une révocation, ce mode de fonctionnement (antihiérarchique, pour ne pas dire anarchique) paraît naturel et logique. Cet autogouvernement, certainement loin d’être parfait, représente à la fois la récupération d’une tradition ancienne et un énorme effort constant d’imagination et de construction pour parvenir à l’autonomie dont les indiens ont besoin, s’ils veulent continuer à être ce qu’ils sont, à mener la vie qu’ils considèrent comme seule souhaitable, sur ce qu’ils ont de plus cher : leurs terres communes. L’autonomie zapatiste contribue à créer une fissure dans l’échafaudage de cette organisation mondiale où le capital est au-dessus des valeurs humaines et où le marché est plus fort que l’éthique. Les zapatistes nous montrent un chemin, leur chemin. Quant à nous autres, nous ne pouvons que nous demander ce que nous faisons ou ce que nous pouvons faire pour transformer ce monde où les inégalités et la violence semblent nécessaires pour faire fonctionner cette machine folle (la machine néolibérale).
11. Chronique n°11 (9 septembre 2010): synthèse de l’histoire, des idées et des valeurs du zapatisme
Nous sommes en 2010 après Jésus-Christ. Toute la planète est occupée par l’empire néolibéral… toute ? Non ! Quelques communautés, peuplées d’irréductibles indiens résistent encore et toujours à l’envahisseur… leur nom : les zapatiX (aussi nommés les zapatistes) !
Une poignée de révolutionnaires issus du nord du Mexique créée l’EZLN en 1983 au Chiapas. Vers 1985-1986, ils rentrent en contact avec des communautés indiennes fortement organisées. De cette rencontre va naître une pensée révolutionnaire totalement neuve.
Dans les premières heures du 1 janvier 1994, le monde entier découvre avec stupéfaction l’EZLN, des milliers de combattants indiens cagoulés qui viennent de s’emparer de 5 municipalités du Chiapas au cri de « Ya Basta ». Ils déclarent la guerre au gouvernement mexicain qui ne tarde pas à envoyer l’artillerie lourde pour massacrer ces rebelles. Sous la pression de la rue, le président Salinas déclare le cesser le feu 12 jours plus tard. L’EZLN intègre alors les revendications de la société civile et se transforme en mouvement politique ouvert sur le Mexique et le monde. Le cesser de feu de l’armée n’était qu’un leurre, bien sûr. Les gouvernements fédéraux et du Chiapas mettront rapidement en place une « guerre de basse intensité » en utilisant des groupes paramilitaires, appuyés par l’armée, pour tenter d’anéantir indirectement le mouvement zapatiste.
Malgré ces terribles pressions militaire et paramilitaire, les zapatistes réussissent à résister et à poursuivre leur lutte. Ce combat est avant tout un combat pour la dignité, c’est-à-dire un combat pour la justice sociale et donc un combat pour l’humanité et contre ce qui s’oppose à l’humanité : le néolibéralisme. Ils qualifient d’ailleurs le néolibéralisme de 4ème guerre mondiale puisqu’il s’attaque à toutes les nations, toutes les cultures et donc à tous les peuples.
Leur combat est tout d’abord local. Ils revendiquent en effet l’autonomie du Chiapas. Cette autonomie souhaitée n’a aucun caractère séparatiste ; elle s’appuie sur le droit à la libre détermination des peuples. On ne peut donc les accuser de vouloir « balkaniser » le Mexique. Il s’agit au contraire de refonder la nation Mexicaine et de la renforcer en réconciliant ses différences. En ce sens leur combat a également une dimension nationale. D’ailleurs leur armée se nomme « l’armée zapatiste de libération nationale » et non « de libération du Chiapas ». Bien entendu il ne sert à rien de vouloir construire une nouvelle nation mexicaine sans s’en prendre à ce qui l’affaiblie et lui porte atteinte : le néolibéralisme. En ce sens leur combat est également international. C’est donc au cœur de cette triple articulation (locale – nationale – internationale-) que se situent la pensée et la lutte zapatiste.
Pour lutter contre le néolibéralisme les zapatistes construisent une nouvelle voie révolutionnaire qui prend ses distances vis-à-vis du léninisme et du guévarisme. Ils ne veulent pas, en effet, prendre le pouvoir en une dictature du prolétariat, mais prônent une nouvelle forme de démocratie participative ou celui qui commande, commande en obéissant. Ils ne cherchent donc pas la prise du pouvoir mais l’auto-organisation de la société. Ils ne font pas que « prôner » d’ailleurs, puisqu’ils approfondissent concrètement leur pratique de l’autonomie dans les 39 municipalités rebelles qu’ils ont créés et dans 5 centres régionaux, les caracoles. Les conseils de « bon gouvernement » de ces caracoles servent à la fois à améliorer le fonctionnement des municipalités autonomes rebelles et à interagir avec le Mexique et le monde.
En conclusion, la Commune de Paris avait résisté deux mois et demi ; les communes rurales du Chiapas émanent d’une rébellion qui a fêté son seizième anniversaire en janvier 2010. Au milieu d’un désastre planétaire de plus en plus difficile à occulter (crises financières, désastres militaires et humanitaires, changement climatique et destructions écologiques, etc…), certains, comme les zapatistes, ont encore l’audace de croire qu’un autre monde est possible ! L’expérience zapatiste constitue donc une référence possible parmi les prémices d’une mobilisation internationale qui ne fait que commencer. Une source d’inspiration possible pour de nombreux courants altermondialistes et libertaires. Enfin, comme l’écrit le sociologue Jérôme Baschet : « les zapatistes ont ouvert une petite fenêtre. Absolument modeste, terriblement imparfaite. On peut l’ignorer, s’en gausser, ou porter au crédit des zapatistes le mérite d’une pensée politique neuve, où se mêlent la poésie et le goût de la fête, l’humour et l’autodérision. Une pratique rebelle, qui sait que les choses les plus sérieuses exigent qu’on se défie de l’esprit de sérieux, qui aime à inventer des récits où s’entrelacent le quotidien et l’imaginaire. Parce qu’elle en appelle aux énergies vitales et créatrices des individualités. Si ta révolution ne sait pas danser, ne m’invite pas à ta révolution, disent-ils. »
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