Résumé des chroniques du zapatisme
- Insurrection indienne et résistance planétaire -
Durant l'été 2010, sur Eskale Quilombo (Jeudi 20h-22h15, 90.1FM, Radio Mon Païs, Toulouse), Patricio a réalisé une série de chroniques radiophoniques consacrées au mouvement zapatiste. Ces chroniques sont largement inspirées de l'ouvrage de Jérome Baschet: "la rébellion zapatiste - Insurrection indienne et résistance planétaire". Dans ce qui suit un résumé de ces chroniques est proposé. Sur une autre page, les 11 chroniques sont intégralement disponibles.
Résumé des 11 chroniques du zapatisme
Nous
sommes en 2013 après Jésus-Christ. Toute la planète est occupée par l’empire
néolibéral… toute? Non! Quelques communautés, peuplées d’irréductibles indiens
résistent encore et toujours à l’envahisseur (du côté des montagnes du sud-est du
Mexique)… leur nom : les zapatistes! 1. Les raisons historiques de la formation du mouvement L’origine du problème pour les indiens du Mexique, c’est évidemment la conquête espagnole, lorsque le conquistador Cortes débarqua dans le golfe du Mexique en 1519. Les indiens se firent massacrer, exproprier, exploiter par les conquérants. Puis l’évangélisation brutale, s’accompagna peu à peu de la quasi-destruction des différentes civilisations indiennes. Enfin, les grandes exploitations agricoles finirent par réduire en esclavages les populations restantes. 2. Les premières révoltes
Au début du 20ème siècle, Ricardo Flores Magon créa le parti libéral mexicain et un journal très hostile au gouvernement. Il se déclara anarchiste et est considéré aujourd’hui comme le principal précurseur de la révolution mexicaine de 1910. Il déclara notamment que les indiens devaient être protégés et c’est à lui qu’on doit le fameux slogan « Tierra y Libertad ». Puis vint la Révolution (1910 à 1921) avec notamment le révolutionnaire Emiliano Zapata. Zapata était un agriculteur métis, maire de son village au sud de Mexico. Il prôna la restitution de la terre aux indiens et supervisa la confiscation des terres de plusieurs haciendas! Rendu maître d’une partie du sud du pays, il fut assassiné sur ordre du président Carranza en 1919. |
3. Le début de l’organisation indienne
Après l’échec de la révolution, les indiens continuèrent d’être exploités, notamment dans des Fincas, de grandes propriétés agricoles dans lesquelles ils travaillaient en semi-esclavage. Pour diminuer les tensions naissantes engendrées par ces exploitations féodales, le gouvernement céda des terres peu fertiles et peu accessibles aux indiens, en particulier dans la forêt Lacandone au cœur du Chiapas ! Plus de 100.000 personnes s’y installèrent dans les années 60. Des organisations paysannes indiennes y firent leur apparition dès les années 70 avec les premières revendications et luttes. 3 composantes favoriseront la future création du mouvement zapatiste :
1. 1. L’église et plus précisément l’évêché locale, et notamment « l’évêque rouge » Samuel Ruiz, très éloignée du Vatican, qui soutenait les indiens en véhiculant une idéologie inspirée par la théologie de la libération (qui promeut la prise de conscience et l’auto-organisation des opprimés). L’église locale parvint ainsi à conférer une unité communautaire grâce à une combinaison de traditions indiennes et d’idéologie chrétienne.
2. Des maoïstes venus du centre et du nord du Mexique à partir de 1973 et de manière plus importante à partir de 1977. Ils vont permettre une structuration plus importante des organisations paysannes à travers l’organisation « linea proletaria ». Cette organisation va dériver à cause de problème interne de pouvoir et va finalement vacciner les indiens contre certaines formes d’organisation politique!
3. Des organisations paysannes dirigées par les indiens aux mêmes, dont les mobilisations aboutissent à la disparition progressive des Fincas.
4. La formation de l’EZLN (l’armée zapatiste de libération nationale)
Une poignée de révolutionnaires (six indiens et six métis), dont certain sont issus du nord du Mexique, créée l’EZLN le 17 novembre 1983 au Chiapas. L’EZLN constitue la branche armée du FLN (Front de libération nationale) crée à Monterrey, le 6 août 1969, par des activistes clandestins issus de la pensée guévariste classique. Au début ils s’organisent seuls dans la forêt Lacandone (à l’écart des communautés indiennes). En 1984, Rafael Sebastián Guillén Vicente, le futur sous-commandant Marcos les rejoint. Il devient alors le numéro 5 du mouvement.
Vers 1985-1986, l'EZLN rentre pour la première fois en contact avec des communautés indiennes (déjà fortement organisées!). De cette rencontre va naître une pensée révolutionnaire totalement neuve (le début de la fin de l'orthodoxie marxiste-léniniste-guévariste).
Entre 1988 et 1989 c’est le « boom » du zapatisme, le nombre de militants passe de 80 à 1300 puis au début des années 90 il y a plusieurs milliers d’actifs et la majorité des communautés indiennes est alors zapatiste.
En octobre 1992, 10000 personnes manifestent à San Cristobal de las Casas et abattent la statue d’un conquistador. C’est à ce moment là que les communautés prennent la décision du soulèvement armé qui aura lieu 1 an plus tard.
5. Le soulèvement zapatiste
Dans les premières heures du 1 janvier 1994, le monde entier découvre avec stupéfaction l’EZLN, des milliers de combattants indiens cagoulés qui viennent de s’emparer de 5 municipalités du Chiapas au cri de « Ya Basta », en déclarant la guerre au gouvernement mexicain ! Le 1 janvier 1994 correspond également à l’entrée en vigueur de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain, qui regroupe les États-Unis, le Canada et le Mexique). Pour la première fois de l’histoire une armée indienne s’empare de ces villes. Le fantasme de la revanche indienne, remontant du fond des temps coloniaux, semble enfin se matérialiser ! Le 2 janvier l’armée zapatiste se retire pacifiquement de San Cristobal avant l’arrivée de l’armée fédérale. Cette dernière n’hésite pas alors, à bombarder les communautés et à massacrer femmes et enfants. Sous la pression de la rue, le président Salinas déclare le cesser le feu 12 jours plus tard.
Dans les mois qui suivirent, le mouvement zapatiste intègre les revendications de la société civile et se transforme alors en profondeur pour se métamorphoser en mouvement politique ouvert sur le Mexique et le monde. En tout et pour tout le mouvement zapatiste ne se sera servi de la lutte armée qu’une dizaine de jours, le temps nécessaires diront-ils, pour pouvoir faire connaître leurs revendications. Un véritable mouvement de sympathie de la société civile tant à un niveau national qu’international émergea alors en faveur des indigènes zapatistes. Des manifestations de soutien furent organisées devant les ambassades du Mexique dans de nombreuses capitales du monde, d’Europe, et du continent Américain.
Les gouvernements fédéraux et du Chiapas, quant-à-eux, mettront rapidement en place une « guerre de basse intensité » en utilisant des groupes paramilitaires, appuyés par l’armée, pour tenter d’anéantir indirectement le mouvement zapatiste (massacres, déplacements, etc...).
6. Le cœur de la pensée et de la lutte zapatistes
Malgré ces terribles pressions militaire et paramilitaire, les zapatistes réussissent à résister, à poursuivre et à transformer leur lutte. Ce combat est avant tout un combat pour la dignité, c’est-à-dire un combat pour la justice sociale. Par conséquent, c’est un combat pour l’humanité et contre ce qui s’oppose à l’humanité : le néolibéralisme. Ils qualifient d’ailleurs le néolibéralisme de 4ème guerre mondiale puisqu’il s’attaque à toutes les nations, toutes les cultures et donc à tous les peuples. Leurs revendications ne sont pas nouvelles et sont basées sur le droit à la terre, à un toit, au travail, à la santé, à l’éducation, à la démocratie et la paix. C’est ce que réclamaient déjà les révolutionnaires de 1910 derrière le slogan « tierra y libertad !».
Leur combat est tout d’abord local. Ils revendiquent en effet l’autonomie du Chiapas. Cette autonomie souhaitée n’a aucun caractère séparatiste ; elle s’appuie sur le droit à la libre détermination des peuples. On ne peut donc les accuser de vouloir « balkaniser » le Mexique. Il s’agit au contraire de refonder la nation Mexicaine et de la renforcer en réconciliant ses différences.
En ce sens leur combat a également une dimension nationale. D’ailleurs leur armée se nomme « l’armée zapatiste de libération nationale » et non « de libération du Chiapas ».
Bien entendu il ne sert à rien de vouloir construire une nouvelle nation mexicaine sans s’en prendre à ce qui l’affaiblie et lui porte atteinte : le néolibéralisme. En ce sens leur combat est également international.
C’est donc au cœur de cette triple articulation (locale – nationale – internationale) que se situent le cœur de la pensée et de la lutte zapatistes.
7. L’autonomie zapatiste
Pour atteindre leurs objectifs les zapatistes construisent une nouvelle voie révolutionnaire qui prend ses distances vis-à-vis du léninisme et du guévarisme. Ils ne veulent pas, en effet, prendre le pouvoir en une dictature du prolétariat, mais prônent une nouvelle forme de démocratie participative ou celui qui commande, commande en obéissant. Ils ne cherchent donc pas la prise du pouvoir mais l’auto-organisation de la société. Ils ne font pas que « prôner » d’ailleurs, puisqu’ils approfondissent concrètement leur pratique de l’autonomie dans les 39 municipalités rebelles qu’ils ont créés et dans 5 centres régionaux, les caracoles. Les conseils de « bon gouvernement » de ces caracoles servent à la fois à améliorer le fonctionnement des municipalités autonomes rebelles et à interagir avec le Mexique et le monde.
Les zapatistes ont ainsi commencé à mettre en place un processus par lequel des populations entières apprennent à gouverner. Chez les zapatistes il n’y a pas de classe politique professionnelle, le plus grand nombre participe par roulement, aux taches du gouvernement (non rémunérées) ce qui semble être la meilleure manière de réduire l’écart entre gouvernants et gouvernés.
Concernant la santé : les zapatistes ont mis en place des cliniques et microcliniques et des dispensaires. En ce qui concerne l’éducation : les zapatistes possèdent des écoles secondaires au niveau régional où se forment des promoteurs d’éducation. Ces jeunes gens retournent ensuite dans leur communauté pour définir, en liaison avec les adultes et autres autorités locales, les programmes de ce qu’ils vont enseigner aux enfants dans l’école du village.
La police et la justice sont elles aussi directement assurées au niveau des quelques 1 400 communautés du Chiapas, des 39 communes autonomes et dans les cinq caracoles.
Enfin, sur le plan économique, le travail collectif pour la production alimentaire permet de nourrir les familles, puis de répartir ou de commercialiser les excédents pour assurer une redistribution, notamment en direction des plus âgés et des malades, ainsi qu’en soutien de l’effort de celles et ceux qui travaillent dans d’autres domaines (la santé, l’éducation, la justice, etc…).
L’autonomie zapatiste contribue ainsi à créer une fissure dans l’échafaudage de cette organisation mondiale où le capital est au-dessus des valeurs humaines et où le marché est plus fort que l’éthique. Les zapatistes nous montrent un chemin, leur chemin mais invitent tout ceux qui le souhaitent, à l’emprunter et à le redéfinir avec eux : « Le zapatisme n'est pas une nouvelle idéologie politique, ni un réchauffé de vieilles idéologies. Le zapatisme n'est pas, n'existe pas. Il se contente de servir, comme servent les ponts, pour traverser d'un côté à l'autre. C'est pourquoi, dans le zapatisme, tous ont leur place, tous ceux qui veulent traverser d'un côté à l'autre... Il n'y a ni recettes, ni lignes, ni stratégies, ni tactiques, ni lois, ni règlements, ni consignes universelles. Il y a seulement une aspiration : construire un monde meilleur, c'est-à-dire neuf. En résumé : le zapatisme n'appartient à personne, et pour cela, il est à tout le monde ». Sous-commandant Marcos (5 mai 1996).
8. Conclusion
La Commune de Paris avait résisté deux mois et demi ; les communes rurales du Chiapas émanent d’une rébellion qui a fêté son dix-neuvième anniversaire en janvier 2013. Au milieu d’un désastre planétaire de plus en plus difficile à occulter (crises financières, désastres militaires et humanitaires, changement climatique et destructions écologiques, etc…), certains, comme les zapatistes, ont encore l’audace de croire qu’un autre monde est possible ! L’expérience zapatiste constitue donc une référence possible parmi les prémices d’une mobilisation internationale qui ne fait que commencer. Une source d’inspiration possible pour de nombreux courants altermondialistes et libertaires. Enfin, comme l’écrit le sociologue Jérôme Baschet : « les zapatistes ont ouvert une petite fenêtre. Absolument modeste, terriblement imparfaite. On peut l’ignorer, s’en gausser, ou porter au crédit des zapatistes le mérite d’une pensée politique neuve, où se mêlent la poésie et le goût de la fête, l’humour et l’autodérision. Une pratique rebelle, qui sait que les choses les plus sérieuses exigent qu’on se défie de l’esprit de sérieux, qui aime à inventer des récits où s’entrelacent le quotidien et l’imaginaire. Parce qu’elle en appelle aux énergies vitales et créatrices des individualités. « Si ta révolution ne sait pas danser, ne m’invite pas à ta révolution », disent-ils.
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