Petites chroniques de l'anarchisme

 - Histoires, figures emblématiques, courants -

- Chroniques radiophoniques-

D'autres chroniques sur Eskale Quilombo

 

Chronique n °1 (12 janvier 2017): L'éclosion du mouvement anarchiste: de Proudhon à Bakounine (1840-1870)

Né du capitalisme, frère parfois ennemi du communisme, qu’est ce que l’anarchie, qui sont les anarchistes, quels sont les différents courants, leur(s) histoire(s). Comment est-il né? Quelles sont les figures emblématiques. Je vais tenter, à travers ces petites chroniques, d’éclairer quelques aspects de cette mouvance, ou plutôt de ces mouvances, car ce n’est en rien une idéologie dogmatique figée, elle peut prendre des formes diverses. En 2010, je vous avais concocté des petites chroniques du zapatisme, qui pour moi, est une manifestation moderne, mexicaine et indienne de l’anarchie. On peut aussi penser aux partis pirates qui fleurissent en Europe, aux anarchistes de la guerre civil espagnol, au mouvement punk, à des  mouvements altermondialistes, aux anarcho-syndicalistes, à Wikileaks, à Eskale Quilombo, etc…, etc…

Mais, bref, commençons par le commencement! Au début du 19ème siècle, le capitalisme s’impose comme modèle universel avec l'avènement de la révolution industrielle. Il entraîne des progrès sur les plans techniques, de la médecine, et donc de la santé.  Mais malgré ces avancées indéniables,  une énorme contradiction apparaît: les richesses et les progrès techniques sont confisqués dans les mains des bourgeois qui sont propriétaires de tous les moyens de production. En ce qui concerne les prolétaires par contre, c’est une autre histoire. Les travailleurs de la classe ouvrière n’ont jamais été aussi pauvres et exploités, sans aucun jours de repos et sous-payés. Les enfants dès l'âge de 6 ans, sont dans les usines. L’espérance de vie des ouvriers en 1840 dépasse à peine les 30 ans! Pendant que la pensée libérale se développe chez les bourgeois, l’idéologie socialiste apparaît alors chez les prolétaires. Du socialisme, deux grands mouvements se détachent sans s’opposer ni se déchirer au début: le communisme et l’anarchisme. Le grand principe du communisme (marxiste), c’est de fonder un régime plus égalitaire, sans propriété privée, où les biens sont mis en commun, en passant par la dictature du prolétariat et par un état centralisé et hiérarchisé au début (avant l'extinction progressive de l'état). Chez les anarchistes, l'objectif est de trouver une solution pour  concilier la liberté individuelle et l’égalité en passant par un ensemble de fédération plutôt que par un état centralisé. C’est pourquoi les anarchistes souhaitent généralement en finir avec  l’état immédiatement.

Même s’il y a toujours eu des anarchistes, le premier à véritablement construire une pensée politique structurée sur l’anarchie, durant l’ère industrielle, est le français Joseph Proudhon dès 1840. Il naît à Besançon en 1809 et est  issu d’un milieu populaire, contrairement à la plupart des révolutionnaires passés. Donc il sait de quoi il parle quand il évoque les ouvriers puisque c'en est un! I il est typographe et son métier va lui permettre de diffuser des textes dont son célèbre  mémoire: “qu’est ce que la propriété?”. Celui ci contient la non moins célèbre phrase qui fera scandale: “La propriété c’est le vol”. Il se prétend anarchiste et pointe donc la propriété comme l’un des fondements de l’ordre social et donc pour lui, se dire anarchiste, c’est s’en prendre au fondement de l’ordre social: la propriété.


Il va même plus loin en prétendant qu’il y a un lien étroit, une collusion, entre la domination de l’état, la domination économique et la domination religieuse, et donc pour lui, il faut détruire ces trois centres de dominations en même temps pour changer réellement de structure social. Il n’est cependant pas partisan de la violence physique. Il souhaite une auto-organisation, un changement sans les armes. Au début Karl Marx le considère comme le nouveau héros du mouvement ouvrier.

Bakounine quant à lui est né dans l’empire russe en 1814, mais c’est en arrivant en Allemagne en 1842 qu’il va vraiment s’intéresser aux écrits des penseurs socialistes français, dont Proudhon. Très inspiré des idées de Proudhon donc, il ajoute cependant la notion de révolution. Pour lui la destruction de l’état ne peut se faire sans lutte armée. Il se sert de l’association: la première internationale socialiste, créée en 1864 à Londres (qui contient plus 2000 ouvriers du monde entier), pour diffuser ses écrits à travers le monde.  

Mais bientôt des querelles, des dissensions  apparaissent au sein de cette association internationale des travailleurs, notamment entre les adeptes de  Marx et ceux de Bakounine. Trois grands courants séparés émergent alors de cette première international socialiste:

un courant réformiste, très minoritaire, dont les adeptes ne croient pas aux vertus de la révolution,
un courant marxiste que les anarchistes qualifient d’autoritaire, qui pense que l’ordre nouveau viendra de la dictature du prolétariat et  
un courant anarchiste non autoritaire et révolutionnaire autour de Bakounine, qui prône la destruction de l’appareil étatique.

Bakounine est accueilli à bras ouvert dans le Jura Suisse (chez les ouvriers horlogers). C’est là qu’il noue des liens avec des révolutionnaires anarchistes du monde entier. Grâce à cela, la pensée anarchiste devient la pensée la plus populaire des trois courants socialistes, très très loin devant le marxisme et le socialisme réformiste!


Au sein de la première internationale on compte donc une majorité d’anarchistes et des fédérations anarchistes se multiplient  à travers le monde.
La semaine prochaine, je vous parlerai d’une des premières manifestation concrète de l’organisation  anarchiste: la commune de Paris. Alors attention, la commune en elle même n’était pas une révolution purement anarchiste, mais tous les anarchistes importants de l’époque  étaient en première ligne ou du moins soutenaient ce soulèvement populaire.

 

Chronique n°2 (19 janvier 2017): La commune de Paris et ses conséquences, 1871-1886

Dans la première chronique je vous ai rappelé que le socialisme est né au début du 19ème siècle en réaction au capitalisme industrielle de l’époque qui réduisait l’ouvrier au quasi rang d’esclave, surexploité par des grands bourgeois qui eux seuls profitaient des richesses et des progrès techniques. Du socialisme, deux courants principaux se sont imposés: le communisme (avec évidemment Marx en chef de file) et l’anarchisme avec au début Joseph Proudhon comme premier penseur politique du mouvement, suivi de près par le russe Bakounine qui a véritablement réussi à diffuser cette idéologie à travers le monde. Les communistes et les anarchistes ont les mêmes objectifs, l’émancipation des prolétaires, mais pas par les mêmes moyens. Les anarchistes pensent en effet qu’il faut en finir toute suite avec l’état contrairement aux communistes qui veulent remplacer l’état centralisé par un autre état centralisé (au début) mais dirigé par le prolétariat.

Donc aujourd’hui je vais vous parler de la commune de Paris. Mais avant, un petit point sur le contexte historique. De 1804 à 1870 la France a vécu principalement sous des régimes autoritaires: premier empire, restauration, monarchie de juillet, second empire. Régimes qui servaient les intérêts des bourgeois à chaque fois. A Paris le peuple s’est soulevé en 1830 et en 1848. A chaque fois ces révolutions ont engendrées des changements de régimes mais l’exploitation de la classe ouvrière n’a jamais cessée. En 1870 c‘est Napoléon III qui est au pouvoir. Il vient de perdre la guerre contre la Prusse, et est très affaibli. Il est alors renversé. Adolphe Thiers devient chef de l’état et du gouvernement! Parallèlement la guerre franco-allemande de 1870 conduit au siège de Paris par les allemands à l’automne 1870. Les parisiens résistent mais le nouveau gouvernement signe l’armistice en janvier 1871 ce qui contribue à l'exacerbation des tensions. Les révolutionnaires parisiens se soulèvent contre ce gouvernement le 18 mars 1871, c’est le début de la Commune. Deux généraux sont capturés et immédiatement exécutés.
Les cadastres sont brûlés, la colonne de la place Vendôme, symbole de l’empire est abattue, le pouvoir est rendu au peuple. Bien sur les anarchistes sont en premières lignes puisqu’ils sont majoritaires dans les organisations socialistes et révolutionnaires. On sépare l’église et l’état, les arts deviennent accessibles à tous, la ville fonctionne quasiment sans gouvernement, le peuple prend en main la vie politique et sociale. Les femmes s’auto-éduquent et votent. D’ailleurs des figures féminines comme Louise Michel sont en première ligne. La commune s’étend un moment à d’autres grandes villes françaises comme Lyon (Bakounine s’y rend), Marseille ou Toulouse (à Toulouse la commune dure 3 jours du 25 au 28 mars 1871). Pendant ce temps la paix est signée avec l’Allemagne qui récupère l’Alsace et une partie de la Lorraine.

Mais bientôt le pouvoir qui était retranché à Versailles contre attaque, envoie l’armée et provoque la terreur contre révolutionnaire. L’armée va tuer durant la semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) plus de 20000 personnes, ce qui est considérable avec les fusils de l’époque. Au bout d’une semaine, la terre n’arrive plus à absorber le sang qui s’écoule dans les rues de Paris! Les versaillais (le gouvernement) viennent de gagner. La commune de Paris, une des premières expériences socialistes à tendance anarchiste, a durée 73 jours.

Après la commune la répression est sévère. Dès les premiers jours de juin, la justice « régulière » remplace les massacres de communards par des exécutions sommaires massives avec la mise en place de conseil de guerre pendant 4 années consécutives. Les anarchistes ont subi de très lourdes pertes, beaucoup ont été tués, déportés dans des bagnes ou condamnés à mort. Les marxistes en profitent pour exclure Bakounine et ses collègues anarchistes de la première internationale socialiste et pour prendre le pouvoir sur celle-ci.

Bakounine quant-à-lui organise avec ses amis, le Congrès de Saint-Imier dans le Jura suisse, les 15 et 16 septembre 1872. Il crée une nouvelle organisation:  l’internationale anti-autoritaire et élabore une véritable charte de l’anarchisme ouvrier. Il est notamment rappelé que le premier devoir du prolétariat est la destruction de tout pouvoir politique. Tous les aspects de la pensée anarchiste sont pour la première fois rassemblés dans leur manifeste. On envisage par exemple la grève générale comme nouveau moyen de s’en prendre aux capitalistes! Celle-ci est utilisée pour la première fois aux Etats-Unis où l’anarchisme a pris racine. Au début des années 1880, c’est Chicago qui est le foyer de l’anarchisme aux Etats-Unis. La grève générale y est lancée par des leaders anarchistes le 1 mai 1886. Une bombe explose au milieu de la police qui se met à tirer sur la foule. Une partie de la foule réplique. Les autorités sans preuve accusent les anarchistes. Il font condamner à mort 8 leaders anarchistes qui seront innocentées (post-mortem) quelques années plus tard! Ces anarchistes sont devenus des martyres dans toutes les organisations ouvrières du monde. et le 1 mai est alors utilisé comme journée internationale des travailleurs.

Beaucoup d’anarchistes commencent à se dire qu’on ne peut rester sans réagir face à des gens qui vous massacre. Face à la terreur imposée par l’état, l’idée de s’en prendre violemment à celui-ci commence sérieusement à germer. La semaine prochaine j’aborderai donc l’ère des attentats et de la propagande par le fait dans le mouvement anarchiste.

 

Chronique n°3 (26 janvier 2017): La propagande par le fait, 1881-1914

Après vous avoir présenté les origines de l’anarchisme politique, dans la seconde chronique, je vous ai parlé de la commune de Paris qui n’était pas une révolution purement anarchiste, mais qui a permis pendant 73 jours de tester concrètement l’anarchie à grande échelle entre le 18 mars et le 28 mai 1871. Résultat: dans Paris, séparation de l’église et de l’état, expériences féministes, organisations ouvrières sans pouvoir central, mesures d’avant garde qui seront parfois reprises plusieurs décennies plus tard (comme le droit de vote pour les femmes), etc…, etc…

Mais le pouvoir a lavé par le sang la commune, avec comme affront suprême à la mémoire des communards, la construction de l’hideuse basilique du sacré cœur sur la butte Montmartre. La bourgeoisie a triomphé à Paris, mais l’anarchie n’a pas disparue pour autant. Dans la capitale, elle reste même le courant socialiste majoritaire devant le marxisme. Louise Michel quant-à-elle est revenue d’un bagne de Nouvelle-Calédonie pour thèse anarchiste durant la commune de Paris. En fait c’est dans son bagne qu’elle est vraiment devenue anarchiste. A son retour elle multiplie les conférences dans la capitale. Lors d’une manifestation en 1883, elle invente le drapeau noir (avec un chiffon) comme symbole de l’anarchisme. Jusqu’à maintenant c’était le drapeau rouge qui était utilisé par les anarchistes, n’en déplaise aux marxistes. Elle appelle les travailleurs à la révolte violente, comme les nihilistes en Russie et participe ainsi à la légitimation de la propagande par le fait.

Alors qu’est ce que cette propagande par le fait? C’est une action concrète,  qui ne consiste pas forcément à poser des bombes. Il  peut s’agir d’un geste symbolique contre l’état, une preuve par le fait de sa crédibilité anarchiste, et surtout l’idée qu’une étincelle peut embraser l’état par contagion révolutionnaire.  Cette propagande est théorisé en 1876 par Errico Malatesta (voir chronique n°10) et mise en avant dans le mouvement anarchiste à partir de 1881. Cette même année le Tsar Alexandre II est assassiné par un groupuscule anarchiste. Un des premiers avocat de la propagande par le fait est le russe Pierre Kropotkine, le théoricien du communisme libertaire, qui est devenu pleinement anarchiste après avoir rencontré dans les montagnes du Jura Suisse, Bakounine et ses amis. Il s'inscrit donc pour le recours à « la propagande par le fait », tactique révolutionnaire définie comme « un puissant moyen de réveiller la conscience populaire ».  

Le 1 mai 1891, dans la ville de Fourmies, dans le nord de la France, une manifestation pacifiste d’ouvriers est réprimée par un bataillon d’infanterie. Bilan 9 morts et 35 blessés. Le même jour, une manifestation spontanée a lieu à Clichy pour protester contre ce massacre. S’en suit des échauffourées avec la police, 3 anarchistes sont arrêtés et deux sont condamnés à 3 et 5 ans de prison ferme.

Pour protester contre le procès de Clichy, l’anarchiste Ravachol pose en 1892, deux bombes! Une devant l’immeuble du président des assises et une devant celui de l’avocat général. Bilan, 8 personnes blessées en tout, mais pas de mort. Malgré la propagande orchestrée par les journaux proches du pouvoir, Ravachol devient assez populaire et est même célébré. Il est cependant Guillotiné et devient un martyre de la cause anarchiste. Dans la foulée d’autres anarchistes sans sang sur les mains, sont condamnés à mort. La stratégie de l’attentat, la propagande par le fait, se propage alors véritablement à partir de ce moment là. Certains pensent que c’est une dangereuse dérive, qui fait débat au sein de la mouvance anarchiste. Cependant dans ce contexte politique et social, des personnalités comme Oscar Wilde, Mallarmé ou Emile Zola ont une certaine sympathie pour les poseurs de bombes.

Le 25 juin 1894, le président de la république française, Sadi Carnot, est assassiné par un anarchiste italien. En réaction, des loi scélérates sont votés contre les anarchistes. Aux Etats-Unis l’anarchie est interdite (et elle l’est toujours aujourd’hui) alors que ce mouvement devenait important au sein de la classe ouvrière. Les gouvernements de 21 pays organisent alors une conférence anti-anarchiste. L’origine d’Interpol! Mais malgré cela, le président du conseil espagnol et le roi Umberto Ier d’Italie sont assassinés par des anarchistes, respectivement en 1897 et 1900. Sont également assassinés par des anarchistes:  le président américain McKinley en 1901, les présidents d’Uruguay, d’équateur, du Salvador, le roi et le prince héritier portugais en 1908, le roi George Ier de Grèce en 1913. De plus, pendant cette période, des locaux de police sont régulièrement visés. En marge de ces attentats ciblés, un célèbre attentat à la bombe, beaucoup plus décrié celui-ci, est perpétré par Emile Henry, au café Terminus de la gare St Lazare, le 12 février 1894. Il fit un mort et une vingtaine de blessés. Le même Emile Henry avait causé 6 morts dans un commissariat lors d’un précédent attentat à la bombe, 1 an auparavant. A son procès, un juge lui reprochant de s'en être pris à des innocents lors de son attentat contre le café Terminus, il répliqua : « Il n'y a pas de bourgeois innocents”. Il fut guillotiné le 21 mai 1894.

Au final, il y a eu pendant 33 ans (de 1881 à 1914), moins de 200 morts imputés aux anarchistes, pendant toute la période de la propagande par le fait. Évidemment les attentats touchants les présidents et les têtes couronnées ont été surmédiatisés, mais 200 morts en 33 ans, c’est 6 par an sur l’ensemble de la planète et c’est évidemment ridiculement faible par rapport à l’ensemble des morts engendrés par les répressions policières, de l’armée et plus généralement des états sur cette même période.  Malgré tout,  la propagande par le fait a montré ses limites: elle n’a pas provoqué de révolution populaire espérée et a décrédibilisé en partie l’anarchie. Beaucoup d’anarchistes préfèrent alors revenir alors dans le mouvement social et c’est ainsi que naît le syndicalisme révolutionnaire, l’anarcho-syndicalisme, dont je parlerai la semaine prochaine (et sans qui nous ne serions pas là ce soir, à vous parler au cœur de la bourse du travail de Toulouse).

Chronique n°4 (2 février 2017): le syndicalisme révolutionnaire, après 1895

A la suite des répressions féroces que subissent les anarchistes après la commune de Paris, avec de condamnations à mort à la pelle, le plus souvent sans preuve, des anarchistes se révoltent et mettent en place la stratégie de la propagande par le fait. Il s’agit de s’en prendre concrètement à l’état individuellement en espérant provoquer une étincelle révolutionnaire. Cette stratégie devient véritablement contagieuse à la suite du double attentat perpétré par Ravachol en 1892. De nombreux attentats conduisent à l’assassinat de nombreux chefs d’état et de rois, jusqu’en 1914. Mais cette stratégie n'engendre pas la révolution espérée et éloigne des anarchistes des luttes sociales. C’est pourquoi certains anarchistes décident de s’engager dans le mouvement social.

Avec l’autorisation du syndicalisme en 1884, apparaissent les bourses du travail, puis la CGT en 1895. Anarchistes et syndicalistes vont alors fusionner pour donner naissance au syndicalisme révolutionnaire: désigné plus tard sous le terme d’anarcho-syndicalisme. Le créateur des bourses du travail est Fernand Pelloutier, un anarchiste qui s’était opposé à la stratégie de l’attentat (à la propagande par le fait). Les  bourses du travail, ces maisons du peuple, sont autogérées par les travailleurs. On peut les fréquenter  pour trouver un travail par exemple. Elles servent également d’écoles, de bibliothèques, de musées, de salle de spectacle, bref, elles sont des vrais foyers d’éducation populaire. Elles deviennent donc de véritables lieux de défense et d’émancipation des travailleurs. Une des idées de Pelloutier est que la meilleure connaissance du monde que les travailleurs peuvent acquérir dans ces lieux, est un moyen indispensable pour envisager la transformation future du monde. Le premier secrétaire général des bourses quant à lui est Emile Pouget, un anarchiste également. Il considère que c’est le syndicat, et non le parti politique, qui doit avoir un rôle central et révolutionnaire. On est alors dans le syndicalisme d’action direct, le syndicalisme autosuffisant, sans relais politique qui peut changer seul la société. Cette conception globale du rôle du syndicat conduit les anarchistes à refuser la stratégie des urnes. Le vote pour eux est plutôt une légitimation de l’ordre établi. Refuser de voter ce n’est pas un refus de la démocratie, mais c’est une contestation de ce que l’on défini comme étant la démocratie. En effet, les personnes élus sont généralement totalement déconnectées de la société, et n’ont aucun compte à rendre une fois élu. Chez les anarcho-syndicalistes il y a des délégués révocables à tout moment, c’est une façon différente de penser la politique et d’envisager la transformation du monde. Dans ce 20ème siècle naissant on voit fleurir le même mot d’ordre, celui inspiré du congrès de Saint-Imier (de Bakounine, rappelez-vous). Ce mot d’ordre c’est grève générale! L’idée est simple, efficace et révolutionnaire, pour s’en prendre efficacement aux capitalistes, il faut s’en prendre à la production c’est à dire au capital. Ce n’est pas les bourgeois qui vont produire seuls de toutes façons. Avec la grève générale l’état capitaliste peut s’effondrer, sans utilisation de la violence ou de l’insurrection populaire.
Mais pendant qu’une partie des anarchistes abandonnent momentanément l’idée de violence, le capitalisme lui, continue à tuer. En effet, le 10 mars 1906 dans les mines de courrières, à la suite à d’un coup de grisous d’une rare violence, 110 kms de galerie sont ravagées en quelques secondes. Les mines s’enflamment alors. Pour préserver le gisement de charbon, les propriétaires de la mine la fond couvrir. Les mineurs sont maintenus prisonniers et plus de 1100 meurent. Seuls 24 survivre à cette catastrophe dont 14 qui s’en sortent seuls (sans secours donc) et réapparaissent à l’air libre 20 jours après la catastrophe! L’appel à la grève générale est lancée pour le 1 mai 1906 avec comme mot d’ordre la journée de 8h de travail. Clémenceau (vous savez l'idole de Valls) organise la répression à l’aide de 45000 soldats postés dans les rues de Paris. Il multiplie les arrestations, et provoque de nombreuses mutilations et morts parmi les manifestants. Malgré cette répression terrible, les anarchistes sortent vainqueurs de cette manifestation. Ils n’obtiennent pas la journée de 8h, mais obtiennent un jour de repos par semaine (10h de travail par jour et un jour de repos, c’était une grande avancée sociale à l’époque!). Le syndicalisme révolutionnaire est au top de sa popularité au début du 20ème siècle. En Espagne la CNT fondée en 1910 à Barcelone, regroupera environ 1,5 millions de travailleurs à son apogée. En Argentine, la FORA syndicat anarcho-communiste fondée en 1901 structurera la vie politique jusque dans les années 50. Les IWW (international workers of the world) fondée en 1905 aux Etats-Unis avaient pour objectif l’abolition du salariat. Ils prennent comme symbole un chat noir et un sabot; sabot que des ouvriers français glissaient dans les machines pour les casser. Sabot formera dans de nombreuses langues l'étymologie du mot sabotage. A cette période le mouvement anarcho-syndicaliste s’est diffusé partout, en Europe et en Amérique latine et dans tous les pays capitalistes industrialisés. Les sections féminines dans ces syndicats sont à l’avant garde de la révolution. C’est le seul mouvement révolutionnaire à avoir des femmes comme figures de premier plan à l’époque. L’anarcho-syndicalisme est pour ces raisons une des plus grandes réussites de l’anarchisme.

 

Mais certains syndicats se détournent peu à peu de leur raison d’exister du début et de leur objectif initial qui était la destruction de tout pouvoir politique. Certains n’osent même plus vraiment contester le pouvoir en place et ne veulent que perdurer. C’est pourquoi de nombreux anarchistes se détournent de l’action syndicale, pour créer, après l’insurrectionnalisme et l’anarcho-syndicalisme, l’individualisme, le troisième grand courant de l’anarchisme dont nous parlerons la semaine prochaine.

 

Chronique n°5 (9 février 2017): l'individualisme, début 20ème

Après l'échec de la stratégie par le fait, certains anarchistes changent de stratégie en réintégrant le mouvement social, en créant les bourses du travail et en cofondant l’anarchosyndicalisme. Je rappelle que le créateur des bourses du travail Fernand Pelloutier était un anarchiste et que  l'anarchiste Emile Pouget était à la fois le premier secrétaire des bourses du travail et le secrétaire adjoint de la CGT de 1901 à 1908. C'est l'ère du syndicalisme autosuffisant qui veut changer seul la société sans légitimer le pouvoir par le vote. Ces syndicats améliorèrent concrètement la vie des travailleurs. De ce point de vu, l'anarcho-syndicalisme et plus généralement le syndicalisme est une très grande réussite du mouvement social. Mais bien sûr devant ce succès, les syndicats se multiplient et évoluent. C'est pourquoi certains anarchistes finissent par se détourner des syndicats qui n’ont plus l'objectif de détruire le pouvoir et rejoignent le mouvement individualiste.

Les individualistes sont les enfants (les petits enfants) des lumières, ils prônent l’objection de conscience généralisée. Ils entendent mener immédiatement une existence pleine et entière et jouir de la vie sans entrave. Joseph Albert, dit Albert Libertad, le roi de la butte Montmartre. est l’un des fondateurs de la ligue antimilitariste, il participe à l’essor des causeries populaires (ces lieux où l’on discute d'anarchie entre autres choses) et fonda le journal l’anarchie en 1905 (avec un a minuscule). Même s’il souhaite que crève le vieux monde, c’est un anarchiste profondément pacifiste et individualiste. Les individualistes recherchent le bonheur mais ils savent que l’émancipation individuelle passe par la défense des libertés de chacun. C’est pourquoi ils prônent la libre association entres individus et prennent part à tous les combats sociaux de leur temps. Ils sont parmi les premiers à soutenir l’innocence du capitaine Dreyfus par exemple, ils militent pour la séparation de l’église et de l’état, ils font fermer les bagnes pour enfants, s’attaquent à tous les types de ségrégations et d’oppressions (racisme, colonialisme, sexisme, patriarcat,…) et finalement il rejette le travail, la famille et la patrie et tous les fondements de la morale bourgeoise. Ils inventent alors des nouvelles pratiques de vie, loin des mines et des usines, ce qui fait d’eux des vrais révolutionnaires. Certains prônent la nudité ou le port de vêtements moins contraignant (des femmes abandonnent le corset par exemple…). Ils préconisent l’union libre ou l’amour libre (au choix) plutôt que le mariage. Ils se regroupent en ville dans des ateliers libertaires ou à la campagne dans des colonies agricoles. Malgré le harcèlement policier et les manques, ils mettent en cohérence leurs attitudes et leurs actes, préfigurant le retour à la nature des années 70. Il y a aussi des individualistes qui émigrent dans des communautés lointaines, au Paraguay, au Costa Rica, en Polynésie française, etc… Ils s’organisent en conseil et abolissent les hiérarchies, la religion et même l’argent. Mais l’anarchie ne triomphe pas, et ces communautés qui devaient être le germe d’une société nouvelle ferment les unes après les autres.

Certains individualistes se disent alors qu’il faut changer de stratégie. Pour changer la société, il faut en effet changer l’individu, mais pour changer l’individu il faut reprendre le mal à la racine. Or, d’après eux, tout commence à l’école, qui inculque aux enfants, dès le plus jeune âge, des valeurs bourgeoises et autoritaires. Il faut donc s’attaquer à l’école et y porter la révolution. Les individualistes se font alors éducateurs et conçoivent des écoles avec des pédagogies nouvelles.

En Espagne par exemple, Francisco Ferrer fonde la escuela moderna, une école moderne anti-autoritaire. Elle est destinée aux enfants et aux adultes, sans hiérarchie entre les élèves et les professeurs, et propose une éducation intégrale, manuelle et intellectuelle. Elle est fondée exclusivement sur l’usage de la raison et est destinée à faire des femmes et des hommes libres qui seront capables seuls de discerner ce qui est bon et mauvais pour eux et pour les autres. Ce qui est intéressant c’est que ces enseignants se méfient de tous les pouvoirs, y compris du leur. Parmi leurs écrits on peut lire par exemple:
“rappelons nous toujours que nous ne voulons pas faire de bons petits anarchistes. Nous tentons de faire des hommes libres et ils se pourraient qu’ils pensent différemment plus tard. Et c’est à ça que l’on reconnaîtra que l’on a réussi à en faire des hommes libres!”.

Mais devant leurs succès, ces écoles inquiètent de plus en plus le clergé et la bourgeoisie. Pour stopper leurs progressions, Francisco Ferrer est arrêté et accusé, à tort, d’avoir fomenté la grève générale de 1909 à Barcelone. Tenez vous bien, il est condamné à mort! Malgré une solidarité internationale contre ce jugement invraisemblable, Francisco Ferrer est exécuté. S’en suivent des manifestations énormes partout dans le monde. A Paris par exemple, le 13 octobre 1909, les avenues sont dépavées et les canalisations de gaz sont percées et enflammées. Francisco Ferrer, n’est pas le seul, d’autres états n’hésitent pas à faire exécuter ces anarchistes pacifistes, comme au Japon ou en Amérique latine par exemple. Les états prennent peur car en ce début de 20ème siècle le monde est en train de basculer. Il y a des mouvements de masse, des révoltes, voir même des révolutions qui se multiplient partout dans le monde. Et presque partout des anarchistes sont à la manœuvre. Mais tous ces mouvements sont noyés dans le sang, et c’est dans ce contexte de répression généralisée que certains individualistes vont reprendre les armes. La semaine prochaine je vous parlerai donc de la reprise des armes dans le mouvement anarchiste à travers le cas particulier des bandits tragiques (la bande à Bono...).

 

Chronique n°6 (16 février 2017): les bandits tragiques (début 20ème)

La semaine dernière je vous ai parlé d’un courant important de l’anarchisme, l’individualisme, qui comme son nom ne l’indique pas, n’est pas opposé à la libre association entres individus. Au contraire, les individualistes considèrent que cette libre association est la seule forme légitime d'organisation collective et qu’elle seule permet à l’individu de se réaliser pleinement. En revanche, ils considèrent que la société oppresse les individus, qu’elle soit capitaliste ou non d’ailleurs. Même si les individualistes ont fait des émules des décennies plus tard, notamment en matière d’éducation nouvelle, en ce début de 20ème siècle ils inquiètent fortement et subissent souvent la répression des états (comme Francisco Ferrer, le père de la escuela moderna en Espagne, qui est tout simplement exécuté).

Et puisque ces états ne leur permettent pas de vivre leur vie telle qu’ils la souhaitent, certains individualistes reprennent les armes. Alors pas tout à fait comme au temps de la propagande par le fait, et des attentats, qui étaient censés engendrer la révolution. Non cette fois les bandits tragiques, comme on les appellera plus tard, font trembler la société en dévalisant des banques et en pillant les bourgeois. Ils refusent l'avenir d'esclaves salariés que la société promet à ceux qui n'ont rien. Beaucoup ne sont pas dupent et savent qu’ils seront tués. Mais ils ne mourront pas à petit feu dans les usines des capitalistes.

Partisans du vol, qu'ils préfèrent appeler expropriation (de toutes façons la propriété c'est le vol selon Joseph Proudhon), ces bandits tragiques utilisent le braquage comme une nouvelle stratégie révolutionnaire pour s'en prendre à la société capitaliste. Et après tout si je suis un révolutionnaire opposé au capitalisme, pourquoi ne pas braquer des banques pour financer la révolution? Parmi eux, on peut citer par exemple: Buenaventura Durruti, un ouvrier qui prônait l'insurrection ouvrière et qui fonda avec d'autres en 1922 à Barcelone, los solidarios. En 1923 ils vont dévaliser la banque d'Espagne à Giron, pour venir en aide aux familles des militants syndicalistes emprisonnés. La même année ils assassinent le Cardinal de Saragosse qui finançait les pistoleros qui assassinaient les meneurs ouvriers! Ils s'exilent un moment et mènent plusieurs attaques de banque en Amérique latine avant de revenir en Europe. Durruti devient un militant anarchiste très influent auprès de la CNT et à de la FAI mais reste libre. Il est très actif au début de la guerre civile espagnole. Il conduit une division antifasciste vers Madrid où il est officiellement tué par des franquistes. Officieusement, la thèse de la responsabilité d'agents staliniens avec la complicité de la bureaucratie de la CNT ne fais pas beaucoup de doutes. Il est enterré le 23 novembre 1936 à Barcelone (Monjuic) devant 250000 personnes. Autre figure emblématique Severino Di Giovanni anarchiste italien exilé en Argentine qui devient bientôt la figure anarchiste la plus connue de son pays d'adoption. Il fonda un journal et mena une action terroriste contre l'ambassade d'Italie (l'Italie fasciste de Mussolini) où il tua 9 personnes. Puis peu après il fit poser une bombe au domicile d’un membre de la police secrète mussolinienne. Enfin, dans le but de financer ses actions futures (la libérations de prisonniers anarchistes notamment) il réalisera le braquage le plus important de l'époque en Argentine. Il fut finalement arrêté et fini devant un peloton d'exécution le 1 février 1931 en criant: "vive l'anarchie" avant de recevoir 8 balles! En France, Marius Jacob œuvre au sein des travailleurs de la nuit. Ces anarchistes illégalistes cambriolent les militaires, les prêtres et les grands propriétaires sans violence (dans la mesure du possible )et en laissant des messages ironiques. Le 31 mars 1899, ils se font passer pour des policier au mont-piéter à Marseille et emporte environ 400000 francs. Ils commettent plus de 500 cambriolages tout en gardant pour eux le strict minimum vital (un pourcentage de l'argent volé est reversé à la cause anarchiste et aux camarades dans le besoin). Marius Jacob servira de modèle à Maurice
Leblanc pour le personnage d'Arsène Lupin. Il n'a jamais versé le sang mais l'état veut envoyer un signal fort aux anarchistes illégalistes et après son arrestation, il condamné au bagne à vie à Cayenne (où l'espérance de vie était de 5 ans). Puisque l'état envoie au bagne, c'est à dire à la mort certaines des pacifistes, le message compris par certains anarchistes illégalistes est plutôt: mieux vaut tuer avant que d'être tué! En 1911, à Londres, deux bandits anarchistes retranchés dans une maison opposent une résistance farouche à plus de 800 policiers qui ont bouclés le quartier. Winston Churchill le ministre de l'intérieur dirige les opérations et fait incendier la maison. Les deux révolutionnaire meurent bruler vif. A ce moment là vivait à Londres, un certain Bono qui aurait travaillé comme chauffeur de Sir Conan Doyle. L'année suivante en revenant en France il forma une bande que l'on appellera bientôt la bande à Bono, des anarchistes à tendance individualiste. Ils vont être les premiers à utiliser la voiture pour commettre leurs braquages alors que la police circule encore à vélo! Contrairement aux travailleurs de la nuit, leurs braquages sont violents et sur leur route les morts se multiplient. Leur têtes sont évidemment rapidement mises à pris pour 100.000 francs. Les toutes nouvelles brigades du tigre se mettent à leur poursuite. Le qualificatif de bandits tragiques est véritablement approprié pour cette bande car ils savent rapidement qu'ils seront tués. Comme à Londres, leur aventure se termine par le siège de leur planque où plus d'un milieu d'hommes les assaillent (avec 10000 spectateurs autour!). Ils tiennent quand même toute une nuit, mais la Police pose des bombes et expose bientôt aux yeux de la presse les cadavres de la bande à Bono, comme de vulgaires trophées de chasse. Cet assaut met finalement fin à l'ère des bandits tragiques. Ces derniers deviennent des figures anarchistes particulières. Célébrés par les uns, critiqués par les autres, comme les propagandistes par le fait de l'époque.

En fait l'affaire de la bande à Bono est un excellent coup médiatique pour l'état, car en cette vieille de première guerre mondiale les impérialistes redoutaient la contagion des idées révolutionnaires anarchistes antimilitaristes au sein de la classe ouvrière. Cet assaut, l'assassinat de Jean Jaurès et de l'archiduc héritier d'Autriche à Sarajevo sont autant d'éléments qui permettent de foncer droit vers l'union sacrée pour la guerre, sans opposition libertaire Pour conclure, on peut considérer que l'histoire des bandits tragiques ne représente qu'une partie anecdotique de l'histoire de l'anarchie mais une histoire symptomatique de la défiance face aux états autoritaires de l'époque qui s'en prenait violemment aux anarchistes, qu'ils soient violents ou pacifistes. La semaine prochaine je vous parlerai de la première grande révolution du 20ème siècle, celle qu'on oublie tout le temps, la révolution mexicaine, qui bien qu'ayant eu une fin tragique également, fut la plus grande révolution anarchiste (ou du moins a très forte tendance anarchiste) de l'histoire.

 

 

Chronique n°7 (23 février 2017): l'anarchisme dans la révolution mexicaine (1910-1920)

Devant la sévère répression que subissent les anarchistes en ce début de 20ème siècle, certains se radicalisent comme par exemple la bande a Bono en France, Buenaventura Durruti et los solidarios en Espagne. D'autres anarchistes trouvent des alternatives comme les cambriolages ciblés, comme par exemple Max Jacob et les travailleurs de la nuit en France. Mais tous ces anarchistes finissent par être tués ou terminent au bagne de Cayenne, comme au temps de la propagande par le fait.

Pendant que la bande a Bono sévissait en France, de l'autre côté de l'Atlantique, avait lieu une véritable révolution. Alors bien sur, quand on parle de révolution au 20ème siècle, on pense immédiatement à la révolution russe de 1917, à la révolution chinoise de 1949 ou à la révolution cubaine de 1959. En revanche on oublie toujours la première grande révolution du 20ème siècle, la révolution mexicaine! Et puis concernant les grandes figures de la révolution mexicaine, on pense immédiatement à Pancho Villa et à Emiliano Zapata, mais on ignore souvent l'existence, de Ricardo Flores Magon, un intellectuel anarchiste, qui est le grand précurseur de cette révolution. Flores Magon était apôtre de la révolution sociale et à l'origine de sa tendance la plus radicale, le magonisme. En 1900, il fonde le journal d'opposition Regeneracion et est condamné à un an de prison pour "insulte au président". Après une 4ème arrestation en 1904, sa tête est mise à prix et il est contraint de s'enfuir à Saint-Louis, Missouri, Etats-Unis. Là bas il reprend la publication de Regeneracion, et diffuse son journal au Mexique clandestinement! En 1906 il fonde le Parti libéral Mexicain, un parti anarchiste, qui devient le principal mouvement d'opposition au régime despotique du président Porfirio Diaz. Ce parti permet, dès 1906, d'affaiblir le pouvoir en provocant plusieurs insurrections au Mexique. Il est arrêté en 1907 et n'est libéré qu'en 1910. Cela ne l'empêche pas, dès sa sortie, de reprendre illico la parution de regeneracion dont le slogan est désormais "Tierra y Libertad". En 1910 il se lie aux anarcho-syndicalistes états-uniens des Industrial Workers of the World (les IWW). Fin 1910, le pays devient instable politiquement et président Porfirio Diaz s'enfuit. Il est remplacé par Madero et c'est le début de la révolution mexicaine. Début 1911 le parti libéral mexicain provoque la commune de basse Californie, tout au nord du Mexique, avec l'aide des IWW américains. Les magonistes incitent le peuple à prendre possession collectivement de la terre, à créer des coopératives et à refuser l'établissement d'un nouveau gouvernement. Ils ont des supporters partout dans le monde comme l'écrivain Jack London ou le russe kroportkine. Durant cinq mois, ils vont faire vivre la Commune de Basse-Californie, expérience de communisme libertaire: abolition de la propriété, travail collectif de la terre, formation de groupes de producteurs, etc. En 1911 dans Regeneracion , Ricardo Flores Magon écrit: « Je dois avant tout souligner que tous les gouvernements, sans exception, me répugnent. Je suis fermement convaincu qu’il n’y a, ni ne peut y avoir, de bon gouvernement. Ils sont tous nuisibles, qu’ils se nomment monarchies absolues ou constitutionnelles, ou encore républiques. Tout gouvernement est tyrannique, par essence parce qu’il s’oppose à la libre initiative de l’individu et ne sert qu’à maintenir un état social impropre à la réalisation totale de l’être humain. Les gouvernements sont des chiens de garde des classes possédantes, nanties et instruites, et les bourreaux des droits intangibles du prolétariat.». Malheureusement beaucoup de mexicains n'adhèrent pas à la dimension internationale du combat de Ricardo Flores Magon et n'acceptent pas les combattants extérieures (notamment états-uniens). Devant le manque d'adhésion les magonistes sont finalement battus en juin 1911. Après un exil aux Etats-Unis, Ricardo Flores Magon est arrêté et meurt en prisons en 1922. Mais grâce au travail de fond du Parti liberal Mexicain et au journal Regeneracion, la révolution a pu germer et s'étendre au Mexique. Notamment au sud avec Emiliano Zapata, un agriculteur métis, assez aisé et libre, qui est maire de son village dans l’État du Morelos. Il ne se prétend pas anarchiste mais agit en parti comme tel en prônant la restitution de la terre à ses anciens possesseurs, les indiens! Les zapatistes provoque la guerilla dans le sud du pays, redistribue les terres, crées leur propre monnaie et parviennent aux portes de Mexico. Entre temps le président Madero est assassiné et remplacé par le général Huerta proche de l'ancien pouvoir, de l'armée et de l'église. Il est surnommé la cucaracha (c'est à dire le cafard) par ces opposants. La célèbre chanson, ridiculise donc ce président qui ressemble à un cafard et qui ne peut avancer, ni se battre, sans l'aide de la marijuana. Francisco Villa alia Pancho Villa, le célèbre bandit révolutionnaire était un partisan de Madero. Lorsque Huerta parvient au pouvoir il est l'un des principaux opposants dans le nord du pays, et devient le gouverneur de la division del norte en 1913. La révolution s'étend donc également dans le nord du pays. Pris en tenaille entre les combattants du nord de Pancho Villa et ceux du sud d'Emiliano Zapata, Huerta (le cafard) finit par quitter le pouvoir en juillet 1914. Malheureusement lorsque les zapatistes entrent dans la capitale, il y a un énorme malentendu entres les ouvriers anarcho-syndicalistes de la ville de Mexico et les anarchistes des champs, les paysans indiens zapatistes. C'est un vrai rendez vous manqué dans l'histoire du mouvement anarchiste. Les ouvriers de mexico considèrent que le monde nouveau ne pourra sortir que de l'avant garde éclairée ouvrière et non des masses paysannes arriérées. En puis, les anarcho-syndicalistes ne comprennent pas ces indiens qui arrivent avec leurs chapelets et leur médaille de la vierge de Guadalupe. L'imaginaire indigène en complet décalage avec le socialisme traditionnel leur échappe totalement. Et ce qui devait arriver, arriva, au lieu de s'unir, les anarcho-syndicalistes s'attaquent aux zapatistes, et à cause d'eux, les contres révolutionnaires en profitent pour reprendre le pouvoir à Mexico. Au moment même ou l'anarchisme aurait du prendre son envole dans la révolution mexicaine, il s'autodétruit! Zapata lui même finit par tomber dans un guet-apens et est assassiné en 1919. Les guerres entre anarchistes d'un côté et entres factions révolutionnaires de l'autre, ont fini par mettre un terme à la révolution mexicaine. Elle prend officiellement fin avec l'avènement au pouvoir du général Obregon en 1920. Celui-ci fera éliminer Pancho Villa en 1923. La semaine prochaine je vous parlerai d'un autre rendez-vous manqué: celui des anarchistes et des bolchéviques pendant la révolution russe de 1917.

 

Chronique n°8 (23 mars 2017): l'anarchisme dans la révolution russe (1917-1921)

Dans la chronique précédente je vous ai parlé du rôle majeur des anarchistes dans la première grande révolution du 20ème siècle, la révolution mexicaine. Celle-ci s’est terminée tragiquement pour eux puisqu’ils ont fini par s’entredéchirer, s’entretuer. En effet les anarcho-syndicalistes de la ville de Mexico n’ont rien compris à l’imaginaire des anarchistes des champs, les indiens zapatistes du sud du pays, en grand décalage avec l’orthodoxie anarcho-ouvrière. Cette révolution est donc un véritable rendez-vous manqué dans l’histoire de l’anarchisme.

 

Cette semaine je vais vous parler du rôle des anarchistes dans la révolution russe de 1917. Cette révolution à commencé à St Petersbourg (Pétrograd) en février 1917. Le peuple se soulève spontanément et le Tsar Nicolas II abdique. Au début cette révolution donne tout le pouvoir aux soviets, c'est-à-dire aux conseils d'ouvriers, de paysans, de marins et soldats avec comme conséquence, la journée de 8h, l’abolition de la peine de mort, la liberté d’opinion et de conscience, la liberté de la presse. Dans un premier temps cette insurrection spontanée engendre  très peu de violence et permet le retour des exilés politiques de toutes opinions (dont un certain Lénine) et laisse même  l'église orthodoxe se réunir librement en concile. Elle provoque aussitôt l’enthousiasme des anarchistes. Des monuments à la gloire de Bakounine sont érigés, on offre un ministère à Kropotkine, le père du communisme libertaire. Les anarchistes peuvent enfin croire, qu’ici, l’anarchisme est en train de véritablement triompher. Malgré des désaccords historiques, les anarchistes pensent qu’ils peuvent s’unir aux bolchéviques qui veulent également en finir avec l’ordre ancien et qui ont participé comme eux à la création des soviets et au renversement du Tsar. Et puis ils font confiance à Lénine qui n’apparait pas comme un marxiste dogmatique et qui est le petit frère d’Alexandre Oulianov, un propagandiste par le fait, pendu en 1887 pour avoir préparé un attentat contre le Tsar. De plus, comme une main tendue aux anarchistes, Lénine écrit dans son livre « l’état et la révolution » qu’il a pour objectif final de détruire l’état. Il précise simplement qu’il veut se servir provisoirement des outils de l’état pour arriver à cette fin, ce qui apparaît dans un premier temps, comme une différence mineure d’organisation.

 

Lors de la prise du palais d’hiver en octobre 1917, les anarchistes et les bolchéviques agissent de concert, tandis que des anarchistes du monde entier affluent pour participer à la révolution russe qui apparaît de plus en plus comme une révolution libertaire. Les anarchistes sont présents partout dans les instances dirigeantes de la révolution. A l’instar des bolchéviques qui créent les gardes rouges, ils créent les gardes noirs. Pendant ce temps, loin de Moscou et de St Petersbourg, Nestor Makhno un paysan anarchiste de très basse extraction parvient à provoquer une insurrection populaire en Ukraine. La Makhnovchtchina (son armée) contrôle bientôt un territoire immense. Partout où ils passent, ils ouvrent les prisons, redistribuent la nourriture, autogèrent les entreprises, les officiers de cette armée sont démocratiquement élus, etc… Alors que les bolchéviques étaient totalement en déroute dans cette partie de l’union soviétique, et que la révolution en 1919 commençait véritablement à leu échapper, Nestor Makhno sauve la révolution et permet même de réaliser la jonction de la Makhnovchtchina avec l’armée rouge. Mais bientôt Lénine commence à critiquer publiquement les anarchistes. Les bolchéviques mettent en place des polices sécrètes, réquisitionnent les denrées alimentaires et interdisent aux gens d’aller faire eux-mêmes leur course au marché en instaurant peu peu un système bureaucratique et hiérarchisé. Les anarchistes commencent à se dire que cela ne correspond pas du tout à leur idée du socialisme. Le maintien de la peine de mort les choquent aussi. Ils se rendent compte finalement que les bolchéviques ne sont pas de vrais révolutionnaires dans le sens où ils ne s’intéressent pas véritablement au bien-être des travailleurs ni à tout ceux qui ne sont pas bolchéviques. Finalement les bolchéviques qui ne représentaient qu’un groupe révolutionnaire parmi les autres, tentent d’imposer petit à petit leur pouvoir aux autres groupes. Trotski qui prend bientôt la tête de l’armée rouge a comme volonté de se débarrasser des anarchistes. Ils utilisent tout d’abord des films de propagande pour les dénigrer, puis en jettent en prison et finalement en fait fusiller. En Ukraine, en 1921, Trotski, toujours lui, fait écraser les communes libertaires. La Makhnovchtchina jadis alliée de l’armée rouge est décimée après qu’un grand banquet ait été organisé par les bolchéviques. La même nuit, tous les officiers de l’armée de Makhnov sont assassinés méthodiquement. En fait les bolchéviques voulaient non seulement tout le pouvoir pour eux mais également faire taire les anarchistes révolutionnaires qui auraient pu témoigner devant la terre entière que ces bolchéviques n’étaient pas en train de créer un paradis ouvrier. Et non seulement ils se sont débarrassés des anarchistes, mais l’histoire officielle marxiste a sciemment passé sous silence le rôle majeur des anarchistes dans la révolution russe, que se soit sous Lénine puis ensuite sous Staline qui avait pourtant lui aussi des accointances avec l’anarchisme dans sa jeunesse. D’ailleurs à l’école quand votre prof d’histoire vous a parlé de la révolution russe a-t-il évoqué le rôle des anarchistes chers collègues ? Non! Toujours le mythe de Lénine, père de la révolution russe, alors qu'il n'était même pas en Russie en février 1917! Pourtant les anarchistes ont tenté d’avertir dès le début de la révolution que les bolchéviques étaient en train de se débarrasser des soviets et de créer un capitalisme d’état qui ne changeraient en rien la situation des travailleurs. Mais avec leur élimination, il a fallu de nombreuses décennies pour que les travailleurs du monde entier ouvrent les yeux sur la réalité soviétique.

 

Finalement partout dans le monde les anarchistes sont persécutés et méthodiquement éliminés, car ils représentent à la fois une menace pour la bourgeoisie capitaliste comme en France ou aux Etats-Unis mais aussi un danger pour le capitalisme d’état des bolchéviques qui font vivre une véritable dictature à l’encontre du prolétariat. Dans la prochaine chronique je vous montrerai que malgré ces répressions les anarchistes n’ont pas tout à fait disparus dans les années 30 puisqu’ils ont failli une nouvelle fois changer le cours de l’histoire durant la guerre civile espagnole. 

 

Chronique n°9: l'anarchisme dans la guerre d'Espagne (1936-1939)  

Dans la chronique précédente je vous ai parlé du rôle majeur des anarchistes dans la révolution russe de 1917, notamment en Ukraine où Nestor Makhno et son armée ont véritablement sauvé la révolution au moment où les bolchéviques étaient en déroute. Mais, lorsque les Bolchéviques se sont emparés du pouvoir, Lénine et Trotski ont méthodiquement éliminés les anarchistes et les autres groupes révolutionnaires puis ont bêtement omis de les mentionner dans l’histoire officielle marxiste de cette révolution… Malgré cela, dans les années 20, l’anarchisme n’a pas encore totalement disparu, même si les bolchéviques  ont pris le pouvoir sur les anarchistes dans la plupart des organisations ouvrières du monde. Le cas espagnol est l’exception qui confirme la règle, puisque là bas, l’anarchisme est  majoritaire au sein du mouvement socialiste; l’anarchisme y est quasiment un synonyme de socialisme et ce sont les communistes qui y sont minoritaires à cette époque. La raison principale réside dans le fait que dans les années 20, en Espagne, l’anarchisme a une base populaire très solide depuis longtemps. D’abord au sein de la section espagnole de l’internationale ouvrière mais aussi grâce à des syndicats comme la FAI et bien sûr la CNT. La CNT, n’ayons pas peur des mots, constitue alors, l’une des principales forces sociales du monde occidental avant le coup d’état militaire avec 1,5 millions d’adhérents (pour un seul salarié permanent!). Une fois n’est pas coutume, devant la réelle menace fasciste, aux élections législatives de 1936, les anarchistes qui ne présentent bien sur aucun candidat, appellent à voter pour le front populaire, qui l’emporte alors d’une très courte tête. Un groupe de généraux organisé depuis quelques années provoque alors un putsch. Franco n'est pas du tout à l'initiative de ce Putsch mais c'est lui qui va diriger le début de l'insurrection au Maroc espagnol. Le putsch est un échec dans le sens où il ne permet pas la prise immédiate du pouvoir par les nationalistes  mais le front populaire est sérieusement mis en difficulté dans la mesure où au lieu d'en appeler à la résistance, il tente la conciliation impossible avec les fascistes. Au final le front populaire est totalement paralysé et le peuple est dans un premier temps livré à lui-même. La moitié du pays tombe alors rapidement sous la coupe des nationalistes. Mais en tentant le coup d'état, les militaires ont déclenché la révolution dans le pays. Un front républicain hétérogène se constitue alors formé des différents partis et organisations ouvrières. Front qui sera bientôt appuyé par des brigades internationales antifascistes venus de 53 pays. Au sein de ce front, les anarchistes prennent les armes et l’hymne de la CNT devient alors l’hymne de la révolte. L’espagnol Buenaventura Durruti, ancien propagandiste par le fait, revenu en catalogne depuis peu, prend le commandement d’une milice, la célèbre colonne Durutti.. Là où ils passent, ils parviennent à faire reculer le fascisme, instaurent le communisme libertaire dans les villages libérés, tout en expérimentant des pratiques nouvelles. Par exemple, de nombreuses communautés autonomes abolissent l’argent. Bien sûr tout n’est pas tout rose, des églises sont incendiées, quelques curées et des fascistes sont éliminés sans procès, etc… mais ces quelques exactions ne tiennent pas la comparaison avec la répression fasciste impitoyable. A Séville par exemple 8000 hommes sont fusillés. A Guernica la population est bombardée par les aviateurs de la légion condor envoyés par Adolph Hitler. Malgré tout, en catalogne, l’anarchisme s’est profondément développé. Sur l’ensemble de cette région, 75% des entreprises sont autogérées. L’anarchisme fonctionne concrètement, à grande échelle, sans bureaucratie, et quasiment sans gouvernement. Mais bientôt 4 anarchistes deviennent ministres dans le gouvernement républicain, dans le but (soi-disant) stratégique de contrôler le gouvernement et de s’approvisionner en armes. Cela provoque une véritablement scission entre les bases anarchistes et ces 4 ministres. Staline qui entend profiter de cette désunion envoie un soutien à la république espagnole mais en imposant des contreparties. Ils exigent que la révolution libertaire soit ajournée et que ses combattants soient réintégrés dans une armée régulière dirigée par des commissaires politiques. Le gouvernement, dont les 4 ministres, acceptent et votent cette proposition ce qui est considérée par Durruti et d’autres anarchistes comme une véritable trahison. Aux yeux de Staline et des républicains, Durruti l’insoumis est devenu trop puissant et trop dangereux. Les républicains font venir la colonne Durutti à Madrid pour (officiellement) combattre les fascistes. Durutti meurt alors sur la route : soit d’un accident, soit tué par des fascistes, soit en tombant dans un guet-apens téléguidé par Staline. Aujourd’hui encore les circonstances exactes de sa mort ne sont pas établies. Toujours est-il que les communistes qui n’étaient, avant la guerre, que 10000 en Espagne face à plus d’un million d’anarchistes réussissent l’exploit de retourner la situation en leur faveur, grâce bien sûr à Joseph Staline. En mai 1937 les républicains alliés aux staliniens reprennent le pouvoir à Barcelone en écrasant les anarchistes et en faisant plus de 1000 victimes parmi eux. Les républicains prennent alors de vraies mesures contre-révolutionnaires en interdisant toutes les critiques à l’égard de l’URSS, en mettant un terme aux communautés autonomes et en annulant toutes les collectivisations des terres. En 1938, on peut lire dans la Pravda en union soviétique que l’épuration anarchiste a été menée à son terme avec la même énergie qu’en Russie. Après le match aller en Russie en 1920, le match retour est remporté une nouvelle fois par les Bolchéviques… et à l’extérieur s’il vous plait ! Bolchéviques 2 – Anarchistes 0. Par conséquent, l’échec de la révolution anarchiste espagnole est à mettre tout autant à la solde des républicains alliés des staliniens  que des francistes. Et finalement Franco profite naturellement du chaos et des divisions pour prendre le pouvoir définitivement en 1939. Pouvoir qu’il gardera jusqu’à sa mort en 1975. En conclusion, après trois révolutions perdues par les anarchistes (au Mexique, en Russie et en Espagne) et une répression internationale systématique à leur encontre, l’anarchisme devra patienter des décennies pour renaître de ces cendres et réapparaître au grand jour sous des formes diverses… ce sera sans doute le thème de la prochaine chronique sur Eskale Quilombo.

 

Chronique n°10 (26/10/2017): Kropotkine et Malatesta, deux figures emblématiques du communisme libertaire  

Dans mes premières chroniques je vous ai dressé un portrait chronologique de l’anarchisme sur un siècle environ (de 1840 à 1939). Mon objectif n'a jamais été de parler de tous les anarchistes sinon il aurait fallu commencer par citer ceux qui fréquentent ce studio. Non, mon intention était avant tout de dresser un panorama des courants et des mouvements importants de l'anarchisme plutôt que de me focaliser sur des personnes. Cela dit, en abordant les mouvements et les courants j'ai évidemment présenté des figures emblématiques de l'anarchisme, comme le premier penseur politique Joseph Proudhon, l'instigateur de la première internationale antiautoritaire Bakounine, la communarde Louise Michel, le propagandiste par le fait Ravachol, l'individualiste Francisco Ferrer, le bandit tragique Bono et les révolutionnaires Ricardo Flores Magon, Nestor Makhno ou Buenaventura Durruti. Aujourd'hui je vais revenir un peu en arrière, et une fois n'est pas coutume, me focaliser sur deux figures majeures de l'anarchisme, injustement oubliées de mes 9 précédentes chroniques: Pierre Kropotkine et Errico Malatesta.

Commençons d’abord par le russe Pierre Kropotkine. Né à Moscou en 1842, il est issu d’une famille noble. Bien que géologue, géographe, zoologiste et anthropologue, il se destine à une carrière militaire. Il aurait pu être pistonné eu égard à sa classe sociale, mais il choisit de partir en Sibérie dans une unité de cosaque « pour avoir plus de chance de servir l’humanité ». Il quitte l’armée, n’acceptant pas que l’état puisse se servir d’elle pour briser des insurrections. Il devient anarchiste au contact de la fédération jurassienne suisse de Bakounine (voir chronique n°1). Après avoir vécu en France, en Grande-Bretagne et en Suisse, il rentre en Russie en 1917. Lénine lui propose des ministères mais il les refuse, préférant rester du côté des anarchistes qui vont bientôt être pourchassés par les bolchevicks et l’armée rouge de Trotski. Il se permet même d’écrire à Lénine : « si la situation actuelle se poursuit, le mot même de socialisme deviendra une malédiction ». Visionnaire donc. Idéologiquement il va plus loin que l’anarchisme collectiviste de Bakounine en imaginant un rapprochement encore plus évident avec le communisme. C’est pour cela qu’il est considéré comme le père du communisme libertaire. Il souhaite en effet combiner le plus haut degré de développement de l’individualité avec le plus haut développement de l’association volontaires entres individus. Le communisme libertaire se rapproche du communisme marxiste par ses objectifs, aboutir à une société communiste, c'est-à-dire sans classe social et sans état, mais se distingue de ce dernier par les moyens pour y parvenir. Les communistes libertaires comme Kropotkine ou Malatesta refusent la centralisation économique et politique et prône l’abolition immédiate de l’état contrairement aux marxistes qui pensent qu’il faut une extinction progressive du pouvoir étatique et qu'il faut en passer par une médiation d'une dictature du prolétariat. Kropotkine penche plutôt du côté anarchiste de la force en prenant nettement ces distances avec Marx et en s’opposant clairement à l’état et à ces pulsions autoritaires et oppressives. Il meurt le 8 février 1921 au moment où Lénine et Trotski se sont presque totalement débarrassés des anarchistes (qui avaient pourtant contribués à faire de cette révolution un succès, notamment en Ukraine).

Errico Malatesta est quant-à-lui né en 1853 dans la région de Naples, d’une famille de modestes propriétaires ruraux. C’est un type plutôt retors et têtu. Dès l’âge de 14 ans, il est arrêté après avoir adressé une lettre menaçante au roi Victor-Emmanuel II. A 18 ans, en 1871, à la suite de la commune de Paris, il adhère à la 1ère internationale socialiste où il se joint à l’aile bakouninienne. Mais il s’éloigne du courant collectiviste de Bakounine pour se rapprocher du communisme libertaire de Kropotkine, courant de pensée dans lequel il joue un rôle majeur. Il lance aussi l’idée de propagande par le fait en 1876 (voir chronique n°3). Il ne fait pas que lancer l’idée d’ailleurs puisqu’en 1877, avec une trentaine d’internationalistes, drapeau rouge en tête (le drapeau des anarchistes à l’époque), il s’empare du village de Lentino sans combat. Il est arrêté puis acquitté peu après. Après moult aventures au Moyen-Orient il est expulsé de Suisse puis de plusieurs autres pays. Il rentre en Italie ou il édite deux journaux anarchistes de tendances antipatriotique et antiparlementaire. Il publie un projet de réorganisation de l’internationale socialiste sur une base purement anarchiste. Au cours d’un procès politique, il réussit à s’enfuir dans une caisse de machines à coudre pour l’Amérique du sud. Après de nouvelles aventures, il revient clandestinement en Italie, s’éloigne de Kropotkine, se fait l’avocat du syndicalisme et de l’action directe ouvrière (voir chronique n°4). En 1889 il est déporté dans des iles italiennes d’où il s’évade pour l’Angleterre, les Etats-Unis, puis Cuba. En 1913 il revient en Italie et rencontre Mussolini alors socialiste de gauche. Mais il confit à un ami que cet homme est révolutionnaire seulement sur le papier et qu’il n’y a rien à faire avec lui. En 1914, il est le détonateur de la semaine rouge qui conduit à la grève générale dans tout le pays. L’armée intervint, il doit s’enfuir d’Italie pour l’Angleterre ! En 1919 il rentre en Italie. C’est l’apogée de sa carrière. Il édite un journal « Umanita Nuova » qui tire à 50000 exemplaires et devient l’animateur d’une importante centrale ouvrière anarcho-syndicaliste. En 1922 les fascistes font interdire ce journal. Bientôt ils prennent tous les pouvoirs. Malatesta ne peux plus fuir, il est en résidence surveillée et il meurt en 1932 sans avoir pu rejoindre la révolution républicaine espagnol de 1931.

Pour finir une citation de ce chacun de ces anarchistes.

Malatesta à propos du gradualisme révolutionnaire: « L'esclavage apprend aux hommes à être serviles, et pour se libérer de l'esclavage, il faut des hommes aspirant à la liberté. Un système autoritaire ne devient pas libertaire du jour au lendemain : la lutte est un processus d'apprentissage volontariste où l'autonomie et la liberté se construisent par étapes, chacune d'entre elles permettant la réalisation de la suivante et n'ayant pour seul but que l'accomplissement de l'objectif final. (…) il ne s'agit pas de faire l'anarchie aujourd'hui, demain, ou dans dix siècles, mais d'avancer vers l'anarchie aujourd'hui, demain, toujours. »

Kropotkine à propos de la révolution française : « il est temps d’abandonner cette illusion d’un gouvernement révolutionnaire. Il est temps de se dire une fois pour toute et d’admettre cet axiome politique qu’un gouvernement ne peut être révolutionnaire. La convention (de Robespierre, Danton, Marat) comme tous les gouvernements qui la précédèrent et la suivirent ne fut qu’un boulet aux pieds du peuple (…) Assez de gouvernements, place au peuple, à l’anarchie.»

En conclusion, Kropotkine et Malatesta étaient géographiquement éloignés mais idéologiquement très proches puisque tous les deux adeptes tour à tour de la propagande par le fait puis précurseurs du communisme libertaire. En parlant du communisme (mais de manière non libertaire), nous sommes le 26 octobre 2017, il y a donc 100 ans presque jour pour jour les marxistes bolchevicks prenaient le pouvoir en Russie… la suite on la connait, le pouvoir de l’état au lieu de disparaître et d’être rendu au peuple, allait être considérablement renforcé par Lénine puis par Staline. Quant à, la dernière grande tentative d’instauration du communisme libertaire, elle remonte à la guerre d’Espagne, tentative brisée par Franco & par un certain Joseph Staline…

 

Chronique n°11 (04/01/2018): La traversée du désert de l'anarchisme (des années 40 aux années 60)  

Dans la chronique précédente je vous ai présenté deux figures emblématiques du communisme libertaire, Pierre Kropotkine et Errico Malesta. Ces deux anarchistes meurent avant la guerre d’Espagne, où la dernière tentative d’instauration du communisme libertaire à grande échelle eu lieu. Cette révolution sociale fût brisée à la fois par les franquistes et par les staliniens.

Après la guerre d’Espagne, l’anarchisme est donc au fond du gouffre. Depuis 1871 et la commune de Paris, les états bourgeois capitalistes s’en prenaient systématiquement à toute velléité libertaire, n’hésitant même pas à faire condamner à mort des anarchistes pacifistes. Depuis la révolution russe de 1917, c’est encore pire. Une fois au pouvoir les bolchéviques (Lénine et Trotski en tête) choisirent d’éliminer méthodiquement ces révolutionnaires qui demeuraient fidèles aux idéaux qui grandirent au sein des soviets, ces conseils représentatifs d’ouvriers et de paysans. Après la guerre d’Espagne, il n’y a plus aucun mouvement anarchiste de grande envergure. Les militants anarchistes qui survécurent, sont alors pris en étaux entre les états fascistes, les états bourgeois et les staliniens ; staliniens qui ont pris le pouvoir dans la plupart des organisations ouvrières du monde.

Malgré ce triste état de fait, un grand nombre d’anarchistes espagnols, qui réussirent à passer les Pyrénées après 1939, se distinguèrent en s’engageant dans la résistance au nazisme. On sait peu par exemple, que la première division blindée qui participa à la libération de Paris, le 24 août 1944, la 9ème compagnie de régiment du Tchad (qui faisait partie de la division Leclerc) comptait 146 républicains espagnols sur 160 hommes, et que la plupart étaient anarchistes. Cette division connue sous le nom de la Nueve, avait donné des petits noms originaux à ces véhicules. Par exemple la jeep de l’unité de contrôle fut baptisée « mort aux cons », d’autres véhicules « Don Quichotte » ou encore « Guernica », etc… Cette division permit la capitulation du général allemand von Choltitz, alors gouverneur de Paris. Le lendemain, 25 août, les troupes alliées entrent dans Paris en triomphe. Les Espagnols participèrent au défilé de la victoire en formant une partie de l’escorte du général de Gaulle sur les Champs-Elysées.

Après 1945, le feu anarchiste n’est pas tout à fait mort. Il couvre simplement doucement sous les cendres des mouvements anesthésiés. Un bon exemple de résurgence de l’esprit libertaire est la révolution hongroise de 1956. En révolte ouverte contre le pouvoir dictatoriale et bureaucratique téléguidé par Moscou, des étudiants se soulèvent le 23 octobre 1956. De larges secteurs de la classe ouvrière mettent alors en avant des revendications d’autogestion de la production, ainsi que la volonté de se doter d’un vaste réseau de conseils ouvriers. Le désir de lutter contre la dictature du parti communiste par l’instauration d’un vrai socialisme est clairement affirmé. Le gouvernement tombe rapidement tandis que le nouveau gouvernement provisoire déclara son intention de se retirer du pacte de Varsovie. La réaction de Khrouchtchev ne se fait pas attendre ; le 4 novembre, l’armée soviétique envahit Budapest et les autres régions du pays. La résistance hongroise qui continua jusqu'au 10 novembre fut finalement écrasée. Bilan : plus de 2 500 Hongrois et 700 Soviétiques tués et 200 000 Hongrois fuirent en tant que réfugiés.

Je mentionnais le rôle des anarchistes dans la libération de Paris, l’histoire étant écrite par les vainqueurs, on ne sait pas non plus qu’à Cuba les organisations libertaires, qui dataient des années 1880, étaient particulièrement influentes dans les secteurs de la restauration, des transports et du bâtiment. Lors de la révolution cubaine ils rejoignent naturellement les groupes de guerilleros pour chasser le dictateur Batista. Mais dès février 1959, ils mirent le monde en garde contre le tournant autoritaire de cette révolution. L’aura qui entourait Castro était telle à l’époque que ces dénonciations se heurtèrent à la méfiance des gauchistes du monde entier. Pourchassés par le régime castriste, ils durent s’exiler dès 1961 et furent souvent soupçonnés, à tort, d’être à la solde de la C.I.A (notamment par un certain Daniel Cohn-Bendit).

A la fin des années 50 et au début des années 60, il n’existe donc plus de mouvements anarchistes de masse mais les initiatives individuelles n’ont évidemment pas totalement disparues. Chez les pacifistes convaincus, il faut absolument citer un militant anarchiste français singulier, Louis Lecoin, pour ces 60 ans de combats pacifistes et antimilitaristes. Il refusa dès 1914 de se battre. Il soutient en 1936 les anarchistes espagnols, et tenta un appel désespéré à la paix en 1939. Pour l’ensemble de ces engagements il passera 12 années en prison. Malgré cela en 1957, il n’a toujours pas renoncé à ses convictions, il soutien ceux qui refusent d’aller ce battre en Algérie et en profite pour reprendre son combat pour l’objection de conscience. En octobre 1958, il rédige avec Albert Camus et Alexandre Croix une proposition de loi pour proposer un service civil de remplacement au service militaire. Alors que De Gaulle lui donne un accord de principe, rien ne se passe après la fin de la guerre d’Algérie en 1962. Lecoin qui a 74 ans entame donc une grève de la faim qui va durer 22 jours. Devant le mouvement de protestation, De Gaulle cède. La loi sera promulguée le 22 décembre 1963.

En conclusion, les anarchistes qui s’opposaient traditionnellement aux organisations étatiques ont souvent été la cible préférée des états, qu’ils soient capitalistes, fascistes ou pro-russes. Après 1945, ils se retrouvent marginalisés, notamment au sein des organisations ouvrières du monde entier. Les organisations anarchistes de masse ont pour la plupart disparues mais la pensée anarchiste elle, ne peut mourir ; aussi longtemps qu’il existera des aspirations pour la liberté, il y aura des anarchistes. Après la guerre d’Espagne, deux guerres mondiales et quelques guerres de décolonisation, cette pensée s’incarne souvent dans l’antimilitarisme et l’antipatriotisme. Dans un contexte de transformation socio-économique du monde, la pensée anarchiste a parfois du mal à faire évoluer ces vieilles pratiques militantes. Néanmoins cette pensée, sera bientôt renouvelée grâce à l’intervention d’intellectuels ou d’artistes libres (Camus, George Orwell, Brassens, Ferré…) mais aussi par l’intermédiaire de mouvements singuliers (surréalistes, situationnistes, Provos, etc.…). Bref, au début des années 60, le nouveau printemps de l’anarchie va bientôt fleurir… mais pas de précipitation, tout ceci sera traitée dans la 12ème petite chronique de l’anarchisme… très bientôt !
 

Chronique n°12 (25/01/2018): Le nouveau printemps de l'anarchisme (années 60)  

Après la guerre d’Espagne, l’anarchisme est 6 pieds sous terre. Mis en bière par les états capitalistes, fascistes et staliniens, les mouvements anarchistes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien. Mais bon, on a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux, et la nouvelle société de consommation qui naît après guerre, offre l’occasion rêvée pour que des nouvelles pratiques révolutionnaires et de nouveaux courants anarchistes émergent enfin. Car quand vient le soir, pour qu’un ciel flamboie, le rouge et le noir ne s’épousent-ils-pas ?

Après guerre, en dépit de sa perte de vitesse, l’anarchisme continue d’exercer une influence sur de nombreux artistes ou écrivains parmi lesquelles ont peut citer George Orwell. Il écrit en 1944 « la ferme des animaux » dans lequel il critique radicalement l’URSS. En 1949, il écrit 1984, dans lequel il imagine les techniques modernes de surveillance et de contrôle des individus par l’état. Visionnaire puisque nous sommes tous aujourd’hui en 1984. En France, Georges Brassens et Léo Ferré bien sûr vont prendre publiquement des positions anarchistes jusqu’à la fin de leurs vies. Quant à Albert Camus, il s’engage aux côtés des anarchistes français et des anarcho-syndicalistes espagnols. Et en 1952, suite à des critiques envers son essai « l’homme révolté », il réaffirme son attachement à Bakounine et écrit même que la société de demain ne peut se passer de la pensée libertaire, qui constitue à ses yeux « l’espoir et la chance des derniers hommes libres ». Au niveau des courants artistiques ont peut aussi penser aux surréalistes qui vont se rapprocher des libertaires par l’intermédiaire d’André Breton. Après avoir été communiste puis trotskiste, il va regretter de n’avoir pas emprunté plus tôt la voie libertaire. Mais bon, il faut oublier, tout peut s'oublier. Oublier le temps, des malentendus et le temps perdu… Bref, lorsque Breton meurt en 1966, le monde libertaire écrit : « André Breton est mort. Aragon est vivant… C’est un double malheur pour la pensée honnête » (Aragon ayant été pro-soviétique un peu trop longtemps…). Parmi les nouvelles revues libertaires, on peut citer la revue « Socialisme ou Barbarie » qui en 1949 mène une réflexion intéressante sur la bureaucratisation des sociétés à l’ouest comme à l’est du mur.

Et puis, 1957, un mouvement radical totalement neuf va naître, l’internationale situationniste ; situationnistes qui sont à l’origine des adeptes d’art expérimental. Grâce à Guy Debord et à Raoul Vaneigem, ce mouvement évolue vers une critique radicale de l’ensemble des aspects des sociétés capitalistes contemporaines. Sociétés désormais, caractérisées, d’après eux, par le triomphe du fétichisme de la marchandise et définies comme une « immense accumulation de spectacles », une « inversion concrète de la vie ». Pour eux, notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être. Aujourd’hui 60 ans plus tard, cette critique de la société de consommation apparait pertinente, mais prévoir dès 1957, l’aliénation à cette société, la perte de contrôle des individus sur leur vie et finalement la perte de sens dans les activités humaines, moi je dis chapeau môsieur Guy Debord! Et puis ces situationnistes se distinguent des intellectuels orthodoxes perçus comme des « spécialistes de la pensée » au service du pouvoir et de leur propre pouvoir (B.H.L si tu nous écoutes…). Bref, leur influence sur le mouvement de mai 1968 sera immense. D’ailleurs, l’un des mots d’ordre de mai 68 « vivre sans contraintes, jouir sans entraves » s’apparente à celui des situationnistes.

Un autre mouvement politico-artistique qui a influencé mai 68 est le mouvement Provo, fondé en mars 1965 à Amsterdam. Parmi les membres fondateurs, on compte un anti fasciste et anti stalinien, un anarchiste et un beatnik, ce qui pose d’entrée la richesse idéologique du mouvement : libertaire, écologiste et émancipateur. Le 12 juillet 1965 sort le 1er numéro de la revue Provo dans laquelle est expliqué comment fabriquer des bombes artisanales et des pétards. Numéro bizarrement interdit, suivi d’arrestations et de perquisitions. A la suite d’un ensemble d’actions emblématiques, la police intervient de plus en plus violemment contre les provos. Le 10 juillet 1966, jour du mariage de la future reine Beatrix et de l’ancien nazi Claus Von Amsberg, les provos attaquent la procession à coup de fumigènes et de poulets, peints en blanc, jetés dans la voiture des jeunes mariés. Le 13 juin, une manifestation ouvrière éclate, un maçon meurt. La population bascule alors majoritairement du côté des provos qui ne cessaient de dénoncer les violences policières. S’en suit une grève générale et 4 jours d’affrontement avec la police, qui finit par tirer à balles réelles. Début 1967, les divisions sont trop fortes au sein du mouvement Provo entre les radicaux, les non-violents, les blousons noirs et les intellectuels. Seul le mouvement des squatteurs continue la lutte. Les provos ne sont plus que l’ombre de leur ombre mais à l’instar des situationnistes, ce mouvement aura une grande influence sur mai 68.

En conclusion, après la traversé du désert de l’anarchisme dans les années 40 et 50, certaines mouvances reprennent du poil de la bête au début des années 60. Réduit au néant dans les mouvements politiques et ultra minoritaires chez les syndicalistes, l’anarchisme se réinvente, change d’apparence, se transmute, par l’intermédiaire de mouvements politico-artistiques comme les provos, les situationnistes ou d’autres… ces mouvements, ces contres cultures sont proches des milieux étudiants qui commencent à se révolter partout dans le monde dans les années 60. Cette contestation incarne l’opposition d’une génération qui refuse de cautionner les valeurs dominantes de l’époque (elle semble avoir commencé aux Etats-Unis, sur le campus de Berkeley en 1964). Elle conduit souvent à l’élaboration de formes de contre-cultures proches de l’esprit libertaire. Esprit libertaire désormais véhiculé par des artistes ou des mouvements radicaux comme les situationnistes ou les Provos par exemple. Cette conjonction d’opposition à la nouvelle société de consommation conduira en France à Mai 68, qui se manifestera souvent comme une explosion de liberté remettant en cause l’ordre traditionnelle dans sa globalité. L’anarchisme en mai 1968 sera donc le thème de la prochaine chronique sur Eskale Quilombo à moins que je ne dérive avant sur les racines profondes de l’anarchisme…
 

Chronique n°13 (01/02/2018): Les racines profondes de l'anarchisme  

Pourquoi attendre la chronique n°13 pour faire la chronique 0? C’est-à-dire pour parler des racines profondes de l’anarchisme? En gros, je trouvais pas mal d’expliquer un minimum « de quoi qu’on cause » avant de présenter les racines du « machin » si vous voyez ce que je veux dire. Donc bon maintenant, après 12 chroniques, à part les deux au fond, à côté du radiateur, qui pensent encore qu’anarchie veut dire bordel, globalement je pense que la majorité a compris qu’anarchie, du grec anarkhia, signifie grosso-modo, absence de pouvoir ; et donc presque tout le monde sait désormais que les anarchistes préconisent l’horizontalité plutôt que la verticalité dans l’organisation de la société.

L’anarchisme en tant que conception de la vie politique est un phénomène relativement récent puisqu’il date du 19ème siècle. Ce mouvement coïncide avec le développement du capitalisme industriel et de la bureaucratie étatique. Le français Joseph Proudhon est la plupart du temps considéré comme le premier véritable fondateur de la doctrine anarchiste et le premier à se réclamer anarchiste en 1840. Mais on peut raisonnablement penser que la pensée anarchiste remonte aux origines de l’humanité, bien avant que le concept politique ne soit formalisé.

Si on remonte à l’antiquité par exemple, en chine, vers le 5, 6ème siècle avant J.C, un certain Lao Tseu un des pères du taôisme, peut être considéré a bien des points de vu comme libertaire. Il écrit par exemple qu’il faut : « Produire sans posséder, agir sans s'imposer, développer sans dominer ». Le parallèle avec l’anarchisme contemporain ne peut se faire qu'avec une vision de l'anarchie comme libération totale de l'individu. Environ un siècle plus tard, dans la cité grecque, les cyniques, n’ont cessé de faire le procès des conventions sociales. En réaction contre l’idéal platonicien, ils prônaient l’autonomie individuelle et l’autosuffisance. Pour eux les hommes d’état étaient des calamités et on devait donc s’en passer. Le plus connu d’entre eux était Diogène de Sinope ou Diogène le Cynique (413 à 327 avant J.C), qui était un clochard-philosophe vivant dans son tonneau et qui se considérait comme apatride. Une légende prétend qu’Alexandre le Grand lui aurait demandé ce qu’il pouvait faire pour lui être agréable. Diogène lui aurait répondu d’un ton insolent : « écarte-toi de mon soleil ». 

Au moyen-âge tout mouvement contestataire était rapidement qualifié d’hérétique. Parmi eux les adeptes du mouvement du Libre-esprit (vers le 12ème siècle) avaient une doctrine d’émancipation totale, une théorie sociale profondément révolutionnaire qu’on pourrait qualifier d’anarchisme quasi-mystique. Pour eux, la charité se confond alors avec l’amour charnel qui se consomme sans restriction au sein de la communauté (où l’on vit souvent nu). Le Libre-esprit désigne la pauvreté en esprit, l’esprit vacant pouvant recevoir Dieu véritablement. Les adeptes étaient donc des chrétiens hédonistes en total opposition avec les pouvoirs ecclésiastiques en place et pour cela ils finirent souvent sur le bûcher. Ils préfigurèrent avec quelques siècles d’avance, les anarchistes individualistes et les hippies qui vont expérimenter au 20ème siècle la vie en communauté (Dieu en plus).

A la renaissance, l’auteur François Rabelais, chrétien anticléricale, libre penseur, médecin et bon vivant, prône une vie sans contrainte. D’ailleurs, en 1534, dans son roman Gargantua, il décrit l’heureuse abbaye de Thélème libérée de toute contrainte autoritaire et dont la seule règle est « fais ce que tu voudras ». Une abbaye « qui ne vouloit charge ny gouvernement, car comment pourroy je gouverner aultruy, qui moi mesmes gouverner ne sçaurois ? ». Pour lui la nature humaine est foncièrement bonne, il suffit de la laisser se manifester librement. La contraindre, c’est la pervertir.

Un autre auteur original de l’époque est Etienne de La Boétie qui publie en 1576, entre l’âge de 16 et 18 ans : « Discours de la servitude volontaire », un réquisitoire contre l’absolutisme, dans lequel, il pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population et essaie d'analyser les raisons de la soumission de celle-ci. La thèse soutenue par La Boétie, est de nous démontrer que, contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, la plupart du temps la servitude n’est par forcée mais au contraire, elle est en vérité toute volontaire. Pour La Boétie, « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres ».

Au début du siècle des lumières, un personnage singulier peut être compté au nombre des vrais précurseurs de l’anarchisme. Il s’agit du Jean Meslier (1664-1724), un curé d’un village champenois. Son existence et sa pensée n'ont été connues qu'à partir de la publication d’extrait de son testament, en 1762, soit 38 ans après sa mort, par Voltaire, sous le titre de Testament de J. Meslier.
Ces attaques visaient autant le pouvoir politique que religieux. Cet ecclésiastiques souhaitait que « tous les grands de la Terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtre ». Il envisage l’idée de grève des travailleurs et des producteurs pour combattre ces centres de pouvoir et avoue même son athéisme (je rappelle qu’il était curé !). Sa pensée qu’on pourrait qualifiée de libertaire préfigure, le socialisme, le communisme et l’anarchisme à venir.

Pendant la révolution française, les enragés, un groupe de révolutionnaires radicaux qui eurent notamment pour représentant le prêtre constitutionnel Jacques Roux, refusaient toute autorité autre que celle du peuple. Ils seront donc naturellement combattus et calomnier par des dirigeants comme Robespierre, Danton ou Marat par exemple. Jacques Roux aura une méfiance permanente envers les représentants du peuple, qu’il appelle les « rois révolutionnaires » et écrira: « Peuple ! Sous le règne de la liberté, tu dois avoir sans cesse les yeux fixés sur tes magistrats ». Un conventionnel accusera Jacques Roux d’avoir le front de venir développer devant l’assemblée « les principes monstrueux de l’anarchie ». Après avoir été arrêté par le tribunal révolutionnaire, Jacques Roux se suicidera en se poignardant dans la prison de Bicêtre le 10 février 1794.

A la même époque William Godwin (1756-1836) va propager le premier une conception anarchiste du changement social fondée sur la diffusion progressive des idées des Lumières parmi les masses. Il se montre très critique à l’égard de l’utilisation de la terreur révolutionnaire pour réformer la société et prône donc une diffusion progressive des véritables principes de justice pour que le peuple prenne conscience lui-même du caractère nuisible de tout gouvernement.

En conclusion, l’anarchisme bien que définie au 19ème siècle comme une alternative au capitalisme industrielle et à la bureaucratie étatique a des racines très profondes. Même si Joseph Proudhon est le premier à se définir anarchiste en 1840, les premières expressions de la philosophie anarchiste peuvent être trouvées dans le taoïsme chinois ou du côté de philosophes grecques comme Diogène le cynique par exemple. En ce qui concerne les traces écrites! Car l’idée d’une société juste et fraternelle au sein de laquelle l’entraide et la coopération remplacerait la lutte de tous contre tous, fait sans doute parti d’un des rêves récurrents de l’humanité depuis que les communautés humaines existent. D’ailleurs ce n’est pas tout à fait un rêve puisque de nombreuses sociétés fonctionnent, parfois depuis des millénaires, sans autorité politique ni police comme chez certains Inuits en Amérique du nord, chez les Pygmées en Afrique équatoriale ou chez les Piaroas au Venezuela et en Colombie par exemple. Le problème pour eux est qu’ils subissent les dommages engendrés par nos sociétés de consommation et par notre économie néolibérale.

Si vous voulez lire la suite chronologique de cette chronique n°13, je vous invite à lire la chronique n°1 (ci-dessus). Quant à la prochaine chronique (la 14) devrait être consacrée à l'anarchisme en mai 1968 (la suite de la chronique n°12!).

Chronique n°14 (01/03/2018): L'anarchisme en mai 68  

Après la guerre d’Espagne, l’anarchisme est dispersée, fragmentée, éparpillée façon puzzle, les staliniens, fascistes et capitalistes ont presque fini de l’achever. Mais i connait pas Raoul (oui l'anarchisme je l'appelle Raoul) , dans les années 60 cette mouvance prend soudain des formes moins traditionnelles par l’intermédiaire de mouvements polito-artistiques comme les Provos aux Pays-Bas ou les Situationnistes en France par exemple. Mouvance également soutenue par des écrivains engagés comme Albert Camus, Georges Orwell et par des chanteurs populaires comme Brassens ou Ferré par exemple. Bref, tous ces braves gens font partie de la poudre qui a permis l’explosion de mai 1968, mais de nombreux facteurs internationaux ont également contribué à ce soulèvement.

Pour commencer, il y a le rejet de la société de consommation qui conduit aux phénomènes communautaires! Aux Etats-Unis, dès le milieu des années 60, deux à trois mille communautés voient le jour presque simultanément (elles poussent comme des champignons hallucinogènes); elles sont peuplées de hippies qui refusent de se reconnaitre dans l’American way of life. Mais il n'y pas que les hippies étasuniens,  en janvier 1967, à Berlin-Ouest, se forme, Kommune I, une communauté libertaire animée par des principes antiautoritaires et hédonistes qui va perdurer jusqu'en novembre 1969.
Un autre facteur important est la guerre froide post-stalinienne. La jeunesse radicalisée se passionne soudain pour différents mouvements révolutionnaires :
Mao lance la révolution culturelle en 1966, Che Guevara est traqué par la CIA et meurt en octobre 1967 en Bolivie, Hô Chi Minh symbolise au Vietnam, l’opposition à l’impérialisme américain. En janvier 1968, en Tchécoslovaquie, Alexander Dubček introduit « le socialisme à visage humain » (qui allait déboucher sur le printemps de Prague et la réaction de Moscou).
Cette fièvre révolutionnaire conduit à un ensemble de révoltes et de répressions. En mars 1968 des manifestations étudiantes sont réprimées en Pologne. Le 4 avril 1968,
Martin Luther King est assassiné à Memphis. Des émeutes éclatent partout dans le pays. Au printemps, en Italie, des mouvements spontanés de colère se produisent dans des industries. Début mai 68 des révoltes étudiantes éclatent à Tokyo. Bref cet ensemble d’événements portés par une jeunesse internationale en ébullition permet vraiment de replacer le mai 1968 français, au cœur d’une dynamique mondiale et d’expliquer le phénomène rare de pluie de pavés qui aillait s’abattre sur la France au printemps.

En France, un des mouvements étudiants qui va mettre le feu aux poudres, est le mouvement du 22 mars (1968) à Nanterre. Ce mouvement ne s’appuie sur aucune idéologie gauchiste orthodoxe. Il réunit en effet des anarchistes, des situationnistes, des trotskistes et des futurs mao-spontex (courant à la charnière entre le marxisme et l’anarchisme). Ce 22 mars 68, ils soutiennent 6 militants du comité Vietnam national arrêtés 2 jours plus tôt suite à une manifestation. A 21h, le 22 mars 1968, ils occupent la salle du conseil des professeurs, au 8ème étage du bâtiment administratif. Il n’y a pas de leader mais un des portes paroles charismatique est un certain Daniel Cohn-Bendit. Après une période de tensions, le 3 mai 1968, le doyen Pierre Grappin décide la fermeture administrative de la faculté de Nanterre, ce qui provoque, dès le lendemain, la diffusion du mouvement de contestation au quartier latin et à la Sorbonne, et le début, proprement dit, de mai 68.
Un ensemble de tracts issus du mouvement du 22 mars est alors diffusé. Certains expriment le refus de la séparation, imposée par la société de classes, entre étudiants et travailleurs, entre intellectuels et prolétaires et prônent « une lutte directe contre l’État bourgeois et sa police ». D’autres marquent une opposition au salariat. Les enragés (de Nanterre) proches des anarchistes et des situationnistes sont rendus célèbre par des graffitis du style : « Ne travaillez jamais », « Prenez vos désirs pour la réalité », « L'ennui est contre-révolutionnaire », « les syndicats sont des bordels, l'UNEF est une putain ».
Bref, ces joyeux drilles sont sur les barricades, et ce qui frappe le plus dans mai 68 (à part les CRS), c’est sa dimension ouvertement antiautoritaire. Ces jeunes ne veulent pas conquérir le pouvoir ou le transformer mais plutôt s’attaquer à toutes ses manifestations, tant à l’usine qu’à l’école ou au sein de la famille patriarcale. Mai 68 remet donc en cause l’ordre traditionnel dans sa globalité. Sans être un mouvement anarchiste à part entière, on peut raisonnablement prétendre que les idées libertaires étaient omniprésentes… du moins chez les étudiants. Car chez les ouvriers c’est plutôt le parti communiste et les syndicats qui tiennent les rênes. Ces étudiants sont tout de même rejoints à partir du 13 mai 1968 par les ouvriers, ce qui provoque la plus importante grève générale du vingtième siècle, dépassant celle survenue en juin 1936, lors du Front populaire. Elle paralyse complètement le pays pendant plusieurs semaines et s'accompagne d'une recherche effrénée de prise de parole, de débats, d'assemblées générales, dans les entreprises, les administrations, les lycées, les universités, les théâtres ou dans la rue.

Finalement, malgré la présence de mouvances communistes et anarchistes, mai 68 n’aboutit sur aucune révolution, pas même sur un changement de gouvernement. Pour cette raison elle est souvent qualifiée de révolution manquée (qui faillit renversée l’histoire, comme disait Renaud dans « société tu m’auras pas »). La raison principale de cet échec est la non réalisation des jonctions des luttes étudiantes et ouvrières. Jonction empêchée par le PCF et à la C.G.T qui refusèrent de cautionner un mouvement étudiant qui veut détruire les appareils de parti! En raison de ce désaccord, de la répression policière et de l’ORTF, le pouvoir en place n’a finalement pas trop de mal à reprendre la situation en main une fois l’agitation un peu retombée.
Alors, mouvement antiautoritaire et libertaire, grand moment de l’histoire du mouvement ouvrier, libéralisation des mœurs, ferment de l’individualiste moderne, expériences féministes, encore aujourd’hui on se pose beaucoup de questions sur ce mouvement et sur son héritage. Il est de toutes façons, impossible et ridicule de vouloir le réduire à un bloc homogène. 

 

Chronique n°15 (02/05/2019): Black-Bloc: the initials B.B  

Qu’est ce qu’un black bloc. Qui sont ses membres ?  Des ultragauchistes, des fascistes, des terroristes, des casseurs ? C’est un peu la p’tite musique que l’on entend lorsque l’on écoute nos chers médias de masse ou notre pauvre classe politique. Les black blocs sont donc l’objet de tous les fantasmes et il est temps de dévoiler qui se cache derrière le masque et derrière ces initiales B.B !

Principe général et fonction d’un black bloc: le black-bloc incarne des principes des nouveaux anarchistes. Il fonctionne sans hiérarchie, et de manière ponctuelle, avant l’événement le black-bloc n’existe pas, après l’événement il n’existe plus. Le black-bloc est donc éphémère. C’est une tactique, un mode d’action utilisé en manifestation et non un mouvement. Ceux et celles qui veulent former un Black Bloc se présentent lors d’une manifestation vêtus et masqués de noir : se reconnaissant aisément, ils peuvent alors constituer un contingent. La première fonction d’un Black Bloc est d’exprimer une présence anarchiste et une critique radicale au cœur d’une manifestation. Il offre aussi la possibilité à des militants de mener des actions directes car cette masse leur assure une solidarité et protège leur anonymat.

Petite parenthèse sur les nouveaux anarchistes : les nouveaux anarchistes ce sont par exemple des militants altermondialistes, les zadistes, zapatistes ou autres nouvelles formes de militantisme sans vraie hiérarchie (dont une partie du mouvement gilet-jaune pourrait se réclamer donc). Ils s’opposent aux vieilles formes de militantismes hyper hiérarchisées (politiques ou syndicales). Beaucoup se disent amilitants… double signification : opposé à militant et en même temps ami-militant. Il s’agit pour eux de créer des petits groupes d’affinités, ponctuels ou non, jugés plus démocratiques et plus efficaces [parenthèse fermée].

Origines : terme utilisé par la Stasi (Schwarzer Block) pour définir ces petits groupes anarcho-punk ouest-berlinois apparus à Berlin et plus largement en Allemagne de l’ouest vers 1980. Ils sont nés dans le milieu de la contre-culture des squats où des jeunes se regroupaient pour vivre et donc s’organiser en marge de l’état et de la société capitaliste. Ces autonomen (autonomes) s’opposaient en particulier à l’industrie nucléaire et aux néonazis et formaient des black-blocs en manifestation pour défendre leurs squats menacés d’expulsion. Aujourd’hui encore la manifestation anticapitaliste du 1 mai de Berlin comporte un très important black-bloc.

Le black-bloc constituait donc à l’origine un moyen de défense de ces lieux autogérés. Cette tactique de défense s’est ensuite diffusée aux Etats-Unis et au Canada au début des années 90.

Parallèlement aux black-blocs (qui étaient alors cantonnés localement autour de lieux autogérés) s’est développé le mouvement altermondialiste, dont le véritable acte de naissance est le soulèvement zapatiste du 1 janvier 1994. La première rencontre des militants altermondialistes et des black-blocs a eu lieu au sommet de l’OMC (organisation mondiale du commerce) de Seattle les 29 et 30 novembre 1999. C’est à partir de là, que la tactique du black-bloc a commencé à être révélé médiatiquement au monde. Pour résumer à Seattle 40000 manifestants du monde entier ont totalement éclipsés le sommet au profit d’un contre-sommet altermondialiste. Parmi ces manifestants, un black bloc de 200 personnes environ s’est attaqué aux locaux de sociétés multinationales et a bloqué des rues pour en faire des zones autonomes temporaires. Inutile de vous dire qu’ils ont attiré les médias en nombre et de manière indirecte ont attiré l’attention sur l’ensemble du contre-sommet (connu plus tard sous le nom de « The Battle of Seattle »).

Actions : pour les black-blocs les actions purement pacifistes sont peu efficaces et n’attirent pas longtemps l’attention des médias. Mais attention, la pseudo-violence qu’ils utilisent n’est que symbolique à l’encontre des symboles du pouvoir et de la finance. Il me semble que les vitrines ne sont pas des êtres sensibles contrairement aux manifestants.  La pire forme de violence sociale est la pauvreté.  Et soyons clair, en 30 ans, on comptabilise 0 mort causé par des black-blocs et on ne peut pas vraiment en dire autant du côté des polices du monde (1)! En revanche, chez certains anarchistes du passé, comme les propagandistes par le fait de la fin du 19ème siècle - début 20ème,  là il y avait de la violence réelle, des bombes et des attentats ciblés, rien à voir ici. Donc sans esprit provocateur, je dirai qu’en ce qui concerne la violence des black-blocs, on est dans la nano-violence ; le black-bloc utilise le vandalisme ciblé oui, mais la véritable violence très peu! On pourrait faire un parallèle, avec les suffragettes britanniques du début du 20ème siècle, car c’est à partir du moment où elles ont commencé à casser des vitrines, qu’elles sont devenues un sujet de discussion pour l’élite anglaise et que finalement le droit de vote pour les femmes a été obtenu en 1928 (en Grande-Bretagne).

Mais les actions de destructions ciblées  ne sont pas les seules actions mises en place par les black-blocs dans les manifestations. Certains se donnent pour mission de protéger la manifestation (2) et cela peut alors passer parfois par un affrontement avec les forces de l’ordre. Enfin, certains défilent pacifiquement, exprimant par leur seule présence une critique radicale du capitalisme ; mais vous connaissez nos médias de masse, c’est généralement lorsqu’un Black Bloc a recours à l’action directe et au vandalisme que les médias remarquent son existence, allez savoir pourquoi.(3)

Idéologie : Pour finir, d’un point de vu idéologique, là aussi beaucoup de conneries sont véhiculées, notamment l’année dernière, lors de la manifestation du 1er mai 2018 à Paris,  Jean-Luc Mélenchon a traité les membres du black-bloc de bande d’extrême droite avant de rétropédaler rapidement. En fait, il suffit de regarder de près leurs banderoles et leurs drapeaux pour comprendre que les membres des black-blocs sont nécessairement anticapitalistes, généralement anarchistes (tendance autonome) ou communiste libertaire ou écologistes radicaux et plus largement antiautoritaires et disons le plus simplement à l’extrême gauche du spectre politique! D’après le professeur de sciences politiques québécois Francis Dupui-Deri (4), ils sont loin des hooligans bas de plafond dépeints par les dirigeants politiques. Il s’agit au contraire, très souvent, de jeunes cultivés qui connaissent bien leur sujet, ayant souvent une expérience militante et une vraie réflexion politique. Il écrit à ce sujet : « Ces radicaux sont en quelque sorte les veilleurs qui guettent l’arrivée d’un nouveau monde, mais qui, en attendant, jouent des coudes dans le monde actuel pour dégager plus d’espace de liberté, d’égalité et de justice.

Enfin, d’après Nicolas Tavaglione, avec une très légère pointe de provocation : « les membres des black-blocs sont les meilleurs philosophes politiques du moment » car ils demandent à la société de choisir entre le maintien de l’ordre social (qui est un désordre social) ou la liberté et l’égalité !

 (1) : La violence policière est sans commune mesure avec celle des manifestants et il n’est pas exagéré de parler d’« émeute policière» dans plusieurs cas de manifestations contre la mondialisation du capitalisme et je ne parle même pas de la violence des états qui imposent par la guerre l'idéologie libérale.

(2) : Par exemple, lors des manifestations en marge du G8 à Gênes en 2001, des black-blocs ont protégé des sans papiers lors d’une manifestation pacifiste pour les droits des migrants. Le lendemain les émeutes ont commencé et un manifestant (Carlo Giuliani) était abattu d’une balle dans la tête par la police.

(3) : Nos médias de masse ont une sensibilité particulière à l’égard de l’esthétisme de la violence, surtout lorsque qu’elle est issue des manifestants cagoulés! Et l’importance de l’humour, de la joie, de la bonne humeur, de la fraternité dans ces manifestations semblent leur échapper. Les nouveaux anarchistes utilisent énormément l’humour comme arme de subversion beaucoup plus que la violence et ce n’est pas nouveau, l’humour est une vieille tradition libertaire ; il suffit de se balader un peu dans les manifs pour s’en convaincre (en tous cas moi je me marre bien en lisant certaines pancartes).

(4) : Lire Black-Bloc : le livre référence de Francis Dupui-Déri


 

 

 

Chroniques en partie inspirées (mais pas que) du documentaire de Tancred Ramonet: "Ni Dieu, Ni Maître. Une histoire de l'anarchisme" (Arte Edition).