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Les élites contre la démocratie - Histoire du détournement d'un mot - - Chroniques radiophoniques- |
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Chronique n °1 (10 janvier 2021). Démocratie: de la Grèce antique à la fin du 18ème siècle
A l’heure où le capitole est « attaqué » (celui de Washington pas celui de Toulouse) et où les populistes prolifèrent, on entend partout ce même son de cloche:
« la démocratie est en danger » (y compris dans les pays où seraient nées ces "démocraties modernes", c’est-à-dire aux Etats-Unis et en France selon la rumeur).
Alors que ce terme est utilisé à tort et à travers (comme république ou nation d’ailleurs), je vais tenter d’éclairer votre lanterne sur sa signification et
la mutation de son sens, orchestré par nos chères élites, à l'issue des révolutions française et américaine.
Chronique n °2 (21 janvier 2021).
La démocratie vidée de son sens (depuis les révolutions française et américaine)
Tous les noms des régimes politiques sont d’origine grecque sauf république qui vient du latin « res publica », qui signifie la chose publique.
La typologie classique des régimes politiques grecs de l’antiquité comprend généralement la monarchie : « le gouvernement
d’un seul », l’aristocratie :
« le gouvernement d’une élite », la démocratie : « le gouvernement du peuple » et l’anarchie :
« l’absence de gouvernement ». Je vous laisse deviner sous
quel type de régime nous vivons ! En fait la définition de démocratie a été relativement stable pendant 2000 ans, c’est le régime ou le demos, soit l’ensemble
des citoyens, se gouverne directement en délibérant à l’agora où se déroule l’assemblée.
Durant l’antiquité, pendant sa période de démocratie, Athènes devient
un important pôle militaire, économique, culturel, philosophique et même sportif. Ensuite, entre l’antiquité et la fin du 18ème siècle, le terme s’est un peu
perdu dans les oubliettes de l’histoire.
Mais là je ne parle que du terme, car évidemment toute trace de démocratie n'avait pas disparue. En effet au moyen âge,
et même parfois à la renaissance, en Europe, la démocratie locale était bien vivante !
On le sait assez peu car du haut de notre 21ème siècle, le moyen-âge apparaît souvent comme l’ère des ténèbres, mais pourtant, on pourrait prétendre sans
sourcilier que le moyen-âge était l’âge d’or de la démocratie locale. Des milliers de villages disposaient alors d’une assemblée
d’habitants où se prenaient en commun toutes les décisions au sujet de la collectivité. Les autorités monarchiques ou aristocratiques ne
s’ingéraient pas dans les affaires de la communauté. En fait, je parle bien de démocratie locale et pas totale, car à cette époque coexistait trois régimes :
la démocratie localement, l’aristocratie au niveau de la région et la monarchie au niveau du pays. Et tout ça a duré pendant des siècles jusqu’aux 16-17ème
siècles où le royaume se transforme petit à petit en état de plus en plus autoritaire et centralisateur. En fait pour les monarques, l’état permettait surtout
d’accroître les pouvoirs d’impositions, de taxations et de conscriptions!
L’état était donc extrêmement mal perçu par ces communautés qui perdaient peu à peu leur liberté et leurs droits acquis. D’ailleurs bientôt les assemblées
locales sont interdites, des préfets sont nommés à la tête des territoires et des nobles sont utilisés pour percevoir l’impôt. Des parlements sont alors mis
en place dans ce but. La démocratie locale est morte. L’idée de représentation (de « démocratie représentative » comme on dirait aujourd’hui) n’est donc pas
venue du peuple, de la plèbe, mais a été introduite en Europe par les monarques, non pas avec l’intention de favoriser les droits du peuple, ni même pour les
représenter, mais tout simplement pour lever l’impôt et former des armées.
Mais, en utilisant les nobles, le roi a introduit un ver dans le fruit. Un changement d’élite était en cours et les parlementaires réussissent à s’imposer peu à peu
comme les seuls représentants de la souveraineté nationale. Le mot nation prend en effet de l’importance, mis en avant par cette nouvelle élite aristocratique
pour remplacer l’aristocratie héréditaire.
Dans les faits, quand on réfléchi bien, la nation relève beaucoup de la pensée magique. La nation existe dans des objets (les drapeaux), dans des lieux
(les parlements) et s’exprime par la voix de quelques élus (les parlementaires), comme dieu existe par la voix des prêtres et les morts par la voix des
sorcières, on a parfaitement le droit d’y croire… ou pas !
Et puis la nation a un avantage politique car avec elle plus besoin de démocratie directe, puisque la nation s’incarnerait dans le corps de ses représentants,
les parlementaires !
Finalement le vrai tournant a lieu à la fin du 18ème siècle quand deux événements majeurs interconnectés vont provoquer à la fois un changement d’élite et un
détournement du terme démocratie : la révolution américaine (1765-1783) et la révolution française (1789-1799).
Dans les premières heures de ces révolutions, les nouvelles élites patriotiques font très souvent preuve d’agoraphobie et sont particulièrement opposées à
l’idée de démocratie. George Washington premier président des Etats-Unis d’Amérique, se confiant à La Fayette, disait se méfier des penchants démocratiques
du peuple. Les fédéralistes, déclaraient ouvertement que leur projet d’union permettrait d’endiguer la démocratie qui se développait de manière chaotique
depuis l’indépendance.
A la fin du 18ème siècle il était de bon ton d’insulter son adversaire en le traitant de démocrate car pour l’élite patriotique, le régime démocratique était
associé à la tyrannie de la majorité, c’est-à-dire des pauvres. Pour eux le peuple était inapte à gouverner et manquait de vertu (évidemment). En fait ces
élites, comme Robespierre en France par exemple, étaient des grands propagandistes du système représentatif qu’ils
entendaient contrôler, pour justifier leur fonction et leur pouvoir. Thomas Jefferson, 3ème président des Etats-Unis considérait qu’il existait une
aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu qui semble destinée au gouvernement des sociétés (je pense que Macron est d’accord).
Mais durant ces révolutions, la connotation du terme aristocratie devient négative. Désormais les élites se définissent plutôt comme
républicains, qui est un concept noble et plus adapté à leur classe sociale et à leurs rhétoriques politiques que démocrate.
En fait, comme nation, république est un mot magique qui a plusieurs avantages politiques :
- Il évoque le bien commun et la vertu.
- Il n’est pas associé à la participation directe de tous les citoyens au pouvoir politique.
Dans les faits, ce terme permet de définir beaucoup de régimes de natures différentes. Je rappelle que la république romaine a atteint les plus hauts crimes
de l’histoire de Rome. Que de nos jours, la France est une république, la Chine est une république populaire, l’Iran est une république islamiste. Il existe
même des républiques à la fois démocratiques et populaires, comme la Corée du nord !
Bien sûr pour la nouvelle élite, l’assemblée vertueuse et républicaine doit être élue. L’élection implique forcément l’existence d’une élite car elle
sous-entend que certains individus sont plus aptes à gouverner que d’autres. D’ailleurs d’après les philosophes de l’antiquité et des philosophes modernes
comme Montesquieu ou Spinoza :
- L’élection est associée à l’aristocratie,
- Le tirage au sort est associé à la démocratie.
Le problème principal de la démocratie pour les membres de l’élite est qu’en démocratie, ils seraient sans emploi politique.
Il est donc fortement intéressant pour eux de promouvoir un système représentatif et électoral.
A cause des difficultés financières que connait la France, louis XVI convoque les états généraux le 5 mai 1789.
Autant dire que l’heure est grave car les derniers états généraux dataient de 1614 ! Les états généraux sont composés de trois ordres, la noblesse, le clergé
et le tiers état. Les membres du tiers état sont les députés, représentants du peuple. Mais ne vous y trompez pas, car comme tout représentant, ils font partie d’une élite.
Celle-ci est composée d’avocats et de juges essentiellement et de 13% de capitalistes (marchands, banquiers, manufacturiers)… bref il s’agit de bourgeois.
Quoi qu’il en soit, c’est du tiers état qu’émergera le mouvement révolutionnaire. Leurs membres tentent et réussissent un coup de force en se proclamant
seuls représentant de la nation. Ils se déclarent le 17 juin 1789, assemblée nationale.
C’est le début de la révolution !
Mais contrairement aux États-Unis, les parlementaires bourgeois font rapidement face à un mouvement populaire radical, les sans-culottes!
D’ailleurs, ce sont ces derniers qui prennent la bastille le 14 juillet. Fin juillet, les campagnes se soulèvent, des paysans incendient des châteaux. Les membres de
l’élite patriote, qui sont au début, majoritairement favorables à une monarchie parlementaire (malgré la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
10 août 1789), sont débordés par la rue, et doivent peu à peu adapter leurs discours et leurs stratégies.
Le terme démocratie commence à être utilisé positivement en France et aux États-Unis. Mais, en France à partir de 1792-1793, la frange la plus radicale et la
plus démocratique du mouvement révolutionnaire n’occupait pas les lieux du pouvoir. Il s’agissait des sans-culottes et en particulier des enragés.
Danton & Robespierre tenteront de les manipuler. Malgré cela des villes commencent à se rebeller contre la convention et contre le comité de salut public
que dirige Robespierre. Les dirigeants instaurent alors la Terreur qui ne fait pas que cibler les contre-révolutionnaires royalistes, mais aussi les
révolutionnaires les plus radicaux. Depuis 1794 Robespierre, qui a éliminé ses anciens alliés, adopte tout à coup le mot démocratie dans un sens positif.
En fait l’utilisation de ce terme varie au grès de ses intérêts politiques. Très fin politique, Robespierre explique que la démocratie est un état où le
peuple souverain, guidé par les lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire et par des délégués, tout ce qu’il ne peut faire
par lui-même.
L’idole de Mélenchon, grand orateur comme lui, n’était bien sûr pas un démocrate puisque son pouvoir est devenu de plus en plus dictatorial et sanguinaire
et qu’il a accentué la centralisation du pouvoir politique dans les mains d’une toute petite clique dont il était le chef. Après avoir fait raccourcir ses
anciens petits camarades, il finira par être détrôné et guillotiné à son tour, le 28 juillet 1794, place de la révolution !
Que se soit aux Etats-Unis ou en France, l’élite républicaine sort victorieuse des conflits sanglants (la guerre d’indépendance aux USA et la révolution en
France). Napoléon Bonaparte devient empereur des français en 1804, empereur de la république française! Comme quoi on peut tout associer au terme « république ».
Mais malgré tout, depuis la révolution un certain esprit égalitariste régnait, ce qui pouvait laisser croire que la démocratie était là partout.
Après avoir été président des Etats-Unis, Thomas Jefferson se disait parfois démocrate en expliquant par exemple en 1826, que les Etats-Unis étaient
constitutionnellement et consciemment démocrates (le même qui croyait en l’aristocratie naturelle pour diriger la plèbe… ).
Aux Etats-Unis, le parti démocrate date de 1840. Parti qui n’a rien de démocratique évidemment. En France c’est pire. Dans les années 1820-1830 c’est une
monarchie parlementaire qui est au pouvoir. La majorité des hommes étaient trop pauvres pour être inscrits comme électeurs, les femmes n’avaient évidemment
pas le droit de vote et l’esclavage était rétabli. Et bien malgré cela, les parlementaires royalistes considéraient que la démocratie était bien vivante
depuis la chute de l’empereur Bonaparte !
En juillet 1835, Louis Philippe échappe à un attentat. Il devient alors dangereux de se proclamer républicain. Des républicains se prétendent alors démocrates.
Dans le même temps cette dénomination monte en popularité aux Etats-Unis. Et puis de plus en plus de gens obtiennent le droit de vote. Il devient alors
intéressant de se présenter comme démocrate pour séduire la plèbe.
Le renversement de sens effectué par les républicains est si bien réussi que les socialistes qui émergent à partir du milieu du 19ème siècle doivent adapter
leur discours. En 1868, Bakounine et d’autres anarchistes fondent l’alliance internationale de la démocratie socialiste.
Certains de ses hommes qui sont
vraiment démocrates, car ils prônent le gouvernement du peuple se disent plutôt anarchistes, un terme beaucoup moins «caoutchoux» que démocrate.
A la fin du 19ème siècle, tout le monde se prétend démocrate, y compris les aristocrates, les monarchistes et les chrétiens. Il a suffit 2 ou 3 générations,
pour que le mot démocrate, qui signifiait depuis 2000 ans, le gouvernement du peuple par le peuple, en vienne à désigner un régime politique où une poignée
de politiciens élus prennent des décisions, soit disant au nom du peuple. Peuple qui n’a évidemment par le droit de participer à l’élaboration des lois.
En réalité, il s’agit bien sur de la définition d’une aristocratie!
En conclusion, malgré le décalage entre son sens originel et le sens que lui ont attribué les élites au grès des luttes politiques pour le pouvoir,
le combat pour réhabiliter le sens originel du mot démocratie n’est pas perdu. En effet depuis les années 90, les mouvements altermondialistes ne cessent de
remettre en question le modèle néolibéral en mettant en valeur le déficit démocratique de nos systèmes. Des alternatives concrètes sont d’ailleurs souvent
basées sur la démocratie réelle. Le récent mouvement des gilets jaunes en France a appelé lui
aussi à plus de démocratie.
Nos « démocraties représentatives » sont quant-à-elles de plus souvent décrites pour ce qu’elles sont : des oligarchies et des
régimes aristocratiques. Ces
nouvelles élites nées sur les cendres des révolutions américaines et françaises ont favorisé au fil des décennies un capitalisme de plus en plus financiarisé et globalisé. Un retour aux sources
de la démocratie pourrait nous en délivrer. En tous cas, aucun des systèmes d’oppression précédent, comme l’esclavage, le colonialisme, la féodalité, n’a pu
être réformé. L’oppression ne se réforme pas. Il faut l’abattre. Et comme disait Che Guevara : «Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures».
Actuellement les fissures sont de plus en plus visibles… pas sûr que la démocratie se cache derrière cela dit…